C'est en 2014 qu'un poste de quartier du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) de l'est de la ville a commencé à recevoir des plaintes d'automobilistes qui disaient avoir été victimes de remorqueurs intimidants. À la fin de la même année, deux remorquages sauvages sont venus étoffer les doutes que la police avait envers l'entreprise Remorquage Taxi Montréal (RTM), dont le quartier général est situé avenue Léonard-de-Vinci, dans le quartier Saint-Michel.

À cette époque, la police soupçonnait qu'un certain Alain Thériault était le patron alors que, pourtant, il n'avait plus le droit de diriger une entreprise de remorquage. Les enquêteurs des Produits de la criminalité rattachés à la Division du crime organisé de la police de Montréal sont alors entrés en scène, car ils flairaient la création de sociétés coquilles et la présence de prête-noms. Ils jugeaient que des remorqueuses avaient été utilisées pour commettre des infractions et qu'ils pourraient les saisir. À la fin de 2014, le projet Remorque a été lancé.

Le 8 juin 2016, un an et demi et 200 plaignants plus tard, Thériault et 17 autres personnes ont été arrêtés et accusés de complot, de vol, de fraude et d'extorsion.

Écoute électronique des employés, filature, infiltration de faux clients, la police n'a pas lésiné sur les moyens et les ressources.

Mais surtout, un agent double de la police a été embauché comme remorqueur et a passé plus de deux mois, enregistreur collé sur le corps, à épier les gestes des suspects et à immortaliser leurs conversations.

UN LOUP DANS LA BERGERIE

Au premier jour avec son formateur, l'agent double de la police a assisté à une opération qui n'avait rien pour rassurer les automobilistes dont les véhicules ont été déplacés par cette entreprise.

L'action se déroule dans le stationnement d'un restaurant en septembre 2015. Le formateur a d'abord bloqué le véhicule d'un automobiliste, empêchant ce dernier de quitter les lieux avant d'être remorqué. Puis, alors que le client s'était éloigné, le formateur a ensuite remorqué sur 800 mètres la voiture sur laquelle le frein à main avait été actionné. « Il y avait de la fumée qui se dégageait des pneus en arrière. Il m'a dit : "Il y a deux choses dont il faut que tu te souviennes. Quand tu déposes le véhicule et que les freins sont chauds comme ça, tu ne vas pas mettre de l'eau dessus. Et l'autre chose, tu te pousses avant que le client arrive !" Cela a été le premier contact que j'ai eu avec ma première voiture », a raconté l'agent double durant l'enquête préliminaire de plusieurs des accusés.

L'agent double, que nous appellerons Jim pour ne pas faciliter son identification, a été embauché chez RTM après avoir répondu à une petite annonce sur un site internet. Il a suivi une formation de quelques jours à l'automne 2015, mais ce n'est qu'en janvier 2016 qu'il a été officiellement embauché. Il a travaillé durant un peu plus de deux mois pour l'entreprise.

Jim a également raconté qu'un jour, il a égratigné une Porsche en la remorquant dans un stationnement souterrain et que le patron, Alain Thériault, lui a demandé de maquiller les égratignures pour éviter que le client s'en rende compte.

Il a aussi dit qu'un remorqueur qui le formait a simulé un appel à une firme de surveillance et fait croire à une femme que des caméras l'avaient captée entrant dans un commerce qui n'était pas situé dans le stationnement réservé où elle s'était garée, ce qui était faux.

Jim, qui portait un micro, s'est fait dire par ses éphémères collègues qu'il devait soulever la voiture ou la retenir le plus longtemps possible, « étirer l'élastique » jusqu'à l'arrivée des policiers, s'il le fallait, pour forcer les automobilistes à payer.

L'agent double a également raconté que les remorqueurs appelaient « vache à lait » un stationnement où ils avaient la possibilité de remorquer plusieurs véhicules, comme les stationnements de cégeps ou de CLSC.

Il a aussi révélé l'existence chez RTM de « pointeurs », c'est-à-dire de gens payés 5 $ par véhicule qui patrouillent et préviennent les remorqueurs de la présence de voitures garées illégalement, ce qui est interdit.

Enfin, Jim a expliqué que les remorqueurs étaient payés comptant, ou à moitié comptant et à moitié par chèque, car certains étaient prestataires de l'aide sociale. Un d'entre eux vendait des cigarettes de contrebande durant ses heures de travail.

EXTRAIT DU RÈGLEMENT SUR LA CIRCULATION ET LE STATIONNEMENT DE LA VILLE DE MONTRÉAL 

ARTICLE 68 : Un véhicule peut être remorqué dans un rayon maximum de cinq kilomètres.

ARTICLE 69 : Le propriétaire d'un véhicule remorqué conformément à la loi doit payer des frais de 65 $ plus les taxes (74,13 $ au total). Il s'agit d'un tarif maximum qui couvre toutes les opérations effectuées et tous les accessoires utilisés. Il est interdit à un remorqueur de réclamer quelque somme supplémentaire que ce soit.

ARTICLE 70 : Les frais de remisage réclamés à un propriétaire dont le véhicule a été remorqué dans une fourrière ne doivent pas excéder 18 $ par jour, excluant les taxes.

ARTICLE 71 : Lorsque le propriétaire ou le conducteur réclame la possession de son véhicule avant qu'il ait été remorqué, il n'a rien à payer, même si son véhicule est déjà accroché ou attaché à la remorqueuse.

EXTRAIT DE LA LOI SUR LE RECOUVREMENT DE CERTAINES CRÉANCES

ARTICLE 3.3 : Une personne ne peut, dans le recouvrement d'une créance, faire du harcèlement, des menaces ou de l'intimidation.

PHOTO DÉPOSÉE EN COUR

Un agent double de la police a été embauché comme remorqueur et a passé plus de deux mois, enregistreur collé sur le corps, à épier les gestes des suspects et à immortaliser leurs conversations.

Des employés au lourd passé criminel

Personnage énigmatique que cet Alain Thériault qui a des amis chez les Hells Angels. Il appréhendait déjà la visite de la police avant son arrestation le 8 juin 2016 et protégeait sa résidence avec des objets aussi inusités que dangereux.

Alain Thériault a gagné 1 million à la loterie en 2002-2003. Il possède également un motel de 20 chambres en République dominicaine.

Au moment de son arrestation, il détenait, selon la police, 15 autres propriétés, 3 terrains vacants et 22 véhicules de collection, dont 16 motos.

Alain Thériault a déjà eu plusieurs entreprises, dont une firme de contre-espionnage. À son enquête sur remise en liberté, il a dit avoir eu de nombreux clients dans l'armée et dans les milieux policiers, cinématographiques et télévisuels. Il a notamment dit que les anciens animateurs de l'émission J.E., à TVA, aimaient louer sa caméra cachée dans un ourson en peluche pour leurs reportages sur les traitements infligés aux enfants.

Dans les années 90, Alain Thériault a été condamné à deux ans moins un jour pour entrave à la justice et possession d'arme. Il a alors fait partie d'un groupe de plusieurs individus arrêtés dans une enquête policière effectuée aux États-Unis.

Il achète ses pièces de moto au commerce de Michel Guertin, membre en règle des Hells Angels de la section South. Il avoue également connaître d'autres motards, dont Jean-Paul Ramsay, Claude Lavigne et Salvatore Cazzetta. Il a invité la conjointe de ce dernier dans son motel de la République dominicaine alors que le motard était incarcéré après son arrestation dans le projet Mastiff, en novembre 2015.

Alain Thériault a également dit avoir connu Roger Valiquette - prêteur d'argent et financier d'importation de drogue, selon la police -, assassiné en décembre 2013.

Lorsque les policiers ont perquisitionné dans la maison d'Alain Thériault le jour de son arrestation, ils ont trouvé deux mannequins et des planches hérissées de clous qui avaient été déposées sur le sol, devant les fenêtres. Ils ont également trouvé des messages démontrant que Thériault attendait la visite des policiers.

Lors de son enquête sur remise en liberté, il a raconté avoir appris de certaines personnes, dont des policiers, que son entreprise de remorquage faisait l'objet d'une enquête. Il a expliqué que les planches cloutées n'étaient pas destinées aux policiers, mais aux voleurs, car il a déjà été victime d'introductions par effraction. Il a ajouté que les clous « pourraient permettre de retrouver, grâce à son ADN, celui qui a fait les introductions » chez lui. Un policier s'est toutefois blessé en marchant sur une planche le jour de la perquisition.

Alain Thériault a aussi admis connaître un individu qui a une entreprise d'import-export par laquelle il envoie de la nourriture et des béquilles en République dominicaine.

Un neveu d'Alain Thériault, Patrick Brûlé, servait également de prête-nom pour l'une des sociétés à numéro de son oncle. En mars 2016, Brûlé a été arrêté dans une enquête de la Sûreté du Québec baptisée Mixture contre des producteurs et trafiquants de comprimés de méthamphétamine.

En décembre 2016, Alain Thériault a plaidé coupable à des accusations de complot et de vol dans la foulée de l'enquête Remorque et il a été condamné à 12 mois d'emprisonnement.

Une somme de 500 000 $ lui a été confisquée au profit du Procureur général.

L'Agence du revenu du Québec lui a imposé des amendes de près de 600 000 $ et celle du Canada, d'environ 40 000 $. Les dossiers sont devant les tribunaux.

NICOLAS THÉRIAULT

Le fils d'Alain Thériault a plaidé coupable à des accusations de complot pour vol, de vol, de fraude et d'extorsion et a été condamné à un an de prison.

ANDRÉ BRUNEAU

Il a plaidé coupable à des accusations de complot pour vol, de vol, de possession d'armes et de possession d'un chargeur à haute capacité. Il attend sa sentence.

ALAIN BRUNETTE

Ancien membre des Rock Machine et des Bandidos, il a plaidé coupable à des chefs de complot pour vol et de vol et a été condamné à 18 mois de prison.

Photo fournie par le SPVM

Alain Thériault