Un expert canadien qui a semé la controverse à l'échelle internationale en exposant une fuite présumée de renseignements personnels d'utilisateurs de Facebook s'était fait montrer la porte par les libéraux de Michael Ignatieff il y a quelques années, en grande partie parce qu'il voulait utiliser une forme de ces méthodes contestées de cueillettes de données.

Christopher Wylie, un Britanno-Colombien d'origine âgé de 28 ans, a dévoilé à plusieurs médias d'envergure comment le réseau social avait obtenu les informations personnelles de millions d'utilisateurs, au profit de mouvements politiques aux États-Unis et au Royaume-Uni.

M. Wylie prétend avoir joué un rôle clé dans ces démarches et plaide que ses idées ont mené à la création de la firme Cambridge Analytica, qui est au centre de cette récolte de données personnelles.

La nouvelle a ravivé le débat sur les techniques déployées par les partis politiques pour effectuer le profilage des électeurs, à savoir jusqu'où ils devraient aller.

Il y a plusieurs années, lorsqu'il travaillait au bureau du chef du Parti libéral du Canada Michael Ignatieff, Christopher Wylie avait déjà commencé à élaborer des stratégies pour déterminer comment les politiciens pourraient profiter des données collectées sur les médias sociaux, selon un ancien employé du parti, qui s'est exprimé sous le couvert de l'anonymat.

À l'époque, cette idée était perçue comme étant trop intrusive et avait soulevé des inquiétudes parmi les libéraux, qui ont voulu s'éloigner de ces techniques, selon cette source.

Les méthodes suggérées par M. Wylie ont tellement effrayé les libéraux que cela a beaucoup joué dans leur décision de ne pas renouveler son contrat en 2009.

«Disons qu'il avait des problèmes avec les limites sur les données même à ce moment-là», a confié l'employé, qui dit avoir été interpellé par la description familière de cette méthode par l'expert.

«Il nous avait présenté une première version de cela exactement en 2009 et nous avions dit non.»

Quelques-unes de ses idées n'étaient pas possibles à l'époque, mais il semble que M. Wylie n'ait pas lâché le morceau avec le temps, a indiqué cette source.

Christopher Wylie, qui a quitté Cambridge Analytica en 2014, n'a pas répondu aux nombreuses demandes d'entrevues de La Presse canadienne.

Cambridge Analytica et Facebook se défendent

Le New York Times et The Observer à Londres soutiennent que l'équipe du candidat républicain Donald Trump avait demandé à la firme Cambridge Analytica de prélever des renseignements personnels des profils Facebook de plus de 50 millions d'utilisateurs.

L'équipe Trump avait apparemment profité de ces données pour en savoir davantage sur les comportements et la personnalité des électeurs américains en vue de l'élection présidentielle de 2016.

Samedi, l'équipe de Donald Trump a nié avoir utilisé ces données, affirmant qu'elle s'était plutôt servie des informations recueillies par le Comité national républicain.

Dans un communiqué diffusé lundi, l'entreprise Cambridge Analytica a «nié fermement» les allégations selon lesquelles elle aurait obtenu des données sur Facebook de façon inappropriée. Elle a aussi insisté pour dire que M. Wylie avait été un employé contractuel, et non l'un de ses fondateurs.

Facebook a semblé être affecté par la controverse, lundi. Son action a chuté de 12,53 $ US, ou de 6,77 pour cent, pour se situer à 172,56 $ US à la Bourse de New York.

L'entreprise a réfuté l'idée qu'il s'agisse d'une fuite, car les utilisateurs auraient fourni leurs informations en toute connaissance de cause. Le professeur en psychologie de l'Université Cambrige, Aleksandr Kogan, avait reçu des informations après les avoir demandées à des utilisateurs qui avaient donné leur consentement en participant à un test sur une application Facebook.

Facebook a malgré tout déclaré qu'elle bannirait Cambridge Analytica, parce que la firme aurait obtenu de façon inappropriée les informations de 270 000 personnes qui avaient téléchargé l'application de M. Kogan. L'entreprise était au courant de cette fuite depuis plus de deux ans, mais elle n'en avait pas parlé jusqu'à aujourd'hui.

REUTERS

Michael Ignatieff

Enquête au Canada

La nouvelle a causé toute une commotion des deux côtés de l'Atlantique.

Au Canada, le Commissaire à la protection de la vie privée s'est dit préoccupé par la possibilité que des renseignements personnels d'utilisateurs Facebook puissent ensuite servir à des partis politiques.

Daniel Therrien a indiqué que son bureau entrera en contact avec Facebook afin de savoir si des renseignements personnels de Canadiens ont pu être compromis lors d'une importante fuite de données impliquant cette plateforme de média social largement utilisée.

M. Therrien a aussi offert l'aide de son bureau à l'enquête déjà amorcée dans cette affaire par son homologue au Royaume-Uni. Les députés britanniques ont demandé au dirigeant de Facebook, Mark Zuckerberg, de venir témoigner en comité parlementaire. Le Parlement européen a aussi annoncé lundi qu'il mènera une enquête.

M. Therrien estime que ces informations soulèvent de graves préoccupations, et que les réponses offertes par Facebook permettront de déterminer, s'il y a lieu, les prochaines étapes à suivre dans cette affaire.

Interrogé lundi sur la possible fuite, le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, a affirmé que son gouvernement prendrait toutes les mesures nécessaires pour protéger l'intégrité du système démocratique au Canada.

«Lorsqu'un enjeu comme cela survient, nous devons le prendre très, très au sérieux, nous assurer que nous avons les faits et réagir en fonction (de ceux-ci)», a-t-il déclaré à Ottawa.

PC

Le Commissaire à la protection de la vie privée, Daniel Therrien.