Devant la crise croissante du fentanyl au Québec, le Groupe de recherche et d'intervention psychosociale (GRIP) déposera cet automne une demande d'exemption à la loi qui leur permettrait d'analyser les drogues, notamment pendant les festivals, et dit avoir bon espoir d'obtenir l'approbation du gouvernement pour introduire cette pratique dans la province.

La crise des opioïdes, sur toutes les lèvres depuis plusieurs mois, a franchi la porte du Québec avec fracas, causant une vague de surdoses qui a fait une douzaine de morts. Jeudi, cinq personnes ont été arrêtées à la suite de deux morts causées par le fentanyl le 25 août dernier. « On n'est pas encore rendus dans la même situation que dans l'Ouest [du Canada], mais on commence à connaître la crise », constate Jessica Turmel, porte-parole et intervenante du GRIP.

Elle témoigne d'un nombre d'interventions grandissant dans les rues relativement au fentanyl, même si toutes les surdoses n'ont pas entraîné la mort. Le maire de Montréal Denis Coderre, qui se dit ouvert à étendre l'accès à la naloxone, annonçait d'ailleurs au début du mois de septembre qu'une vingtaine de personnes avaient été sauvées grâce à ce produit antagoniste des récepteurs de la drogue, agissant comme antidote. Le produit est offert gratuitement, sans ordonnance, depuis cette semaine. « Il faudrait en faire une distribution très large », approuve Mme Turmel.

Prévenir la crise

Pour le GRIP, cependant, l'urgence est d'agir « en amont de la crise ». L'analyse des drogues s'avère une solution, selon ses spécialistes. « Ça va nous permettre d'empêcher une surdose de survenir avant même que la personne ait consommé la substance », contrairement à la naloxone, une mesure curative.

Au Canada, « certaines activités de vérification des drogues au cours desquelles le personnel n'a pas à entrer en possession de substances désignées n'exigent ni exemption ni autorisation, en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances [LRCDS] », a précisé Santé Canada à La Presse.

Une exemption à la LRCDS, que le GRIP espère obtenir et dont bénéficient les centres d'injection supervisés, permettrait que des tests approfondis des substances soient effectués sur les lieux des festivals, afin que les drogues puissent être analysées avant consommation. La présence de fentanyl dans d'autres substances pourrait être détectée, par exemple.

Ouverture du gouvernement

Le GRIP a été créé il y a 20 ans dans le but d'amener l'analyse de substance au Québec. Dernièrement, Jessica Turmel a constaté une ouverture du gouvernement fédéral pour la première fois depuis que la conversation sur le sujet a été engagée. « On est en négociation présentement et on sent qu'il y a quelque chose de concret. »

L'organisme propose de réunir plusieurs organisations et groupes communautaires afin d'instaurer la pratique dans l'enceinte des festivals, mais aussi de l'étendre jusque dans la rue.

« Il faut que le service soit disponible partout où il y a de la consommation, donc en partenariat avec des groupes sur le terrain. Plus il y aura de sites de contrôle, mieux ce sera. » 

L'intervenante prévoit que le projet se concrétisera « très prochainement ».

Le gouvernement publiera bientôt des données nationales concernant les morts liées à la consommation de ces substances, mais ne s'est pas prononcé sur la demande du GRIP, puisque celle-ci n'a pas encore été formellement déposée. Santé Canada prépare par ailleurs une campagne de sensibilisation publique de 2,1 millions en 2017-2018.

La drogue et les festivals

Le GRIP est présent depuis quatre ans aux festivals Osheaga et îleSoniq, entre autres, pour « réduire les conséquences associées à la consommation de substances psychoactives et prévenir leurs usages problématiques », d'après la description qu'en fait le promoteur evenko, qui engage l'organisme.

La Presse était de passage à îleSoniq, le 11 août dernier. Malgré les fouilles, la drogue réussit à passer. « J'ai caché ça dans mes boxers », nous a révélé Jamie, après avoir pris une ligne de cocaïne sur le dos de sa main, à la vue de tous, durant un des concerts.

« Il y a toutes sortes de moyens de cacher ça. Les fouilles systématiques et sévères des gens à l'entrée, ça n'empêche pas les gens de rentrer les substances quand ils veulent vraiment », explique Jessica Turmel.

L'intervenante explique en outre que certains décident de consommer leurs provisions d'un coup avant d'entrer et « se retrouvent en situation de surdose de l'autre côté » des barrières. 

Au Canada, la Santé publique estime que le nombre de surdoses mortelles aux opioïdes sera supérieur à 3000 pour l'année 2017, alors qu'au moins 2816 personnes en sont mortes en 2016.

Que dit la loi ?

Certaines analyses de drogues peuvent être faites si « le personnel n'a pas à entrer en possession de substances désignées », selon Santé Canada. La distribution de bandes d'analyse de drogues n'est donc pas illégale. Depuis 15 ans, en Colombie-Britannique, l'organisme ANKORS réalise des tests pendant le festival Shambhala, mais les intervenants ne manipulent pas les substances consommées par les festivaliers. Le GRIP rapporte que les promoteurs d'événements festifs montréalais ne sont pas tous ouverts à l'instauration de cette pratique, puisque le tabou entourant la consommation est très présent. Jusqu'à maintenant, aucun festival au Québec ne permet l'analyse de drogues.

Qu'apporterait une exemption ?

Munis d'une exemption, les organismes pourraient manipuler les substances et sécuriser la consommation de drogue en effectuant eux-mêmes des analyses. Des environnements sécuritaires seraient établis, comme le propose le projet du GRIP, qui souhaite créer des sites voués à la vérification des drogues.