Environ un accusé sur six a déjà plaidé coupable à une accusation pour laquelle il était pourtant innocent - ou du moins affirmait l'être - en raison de pressions subies, dont celles exercées par son propre avocat.

Voilà la conclusion étonnante à laquelle arrive la professeure en criminologie à l'Université de Montréal (UdeM) Chloé Leclerc, qui présente les résultats de sa récente recherche au congrès annuel de la Société de criminologie du Québec, qui se déroule ces jours-ci à Québec.

«À mon avis, c'est très préoccupant. Notre système judiciaire ne devrait pas laisser passer cela, après tout, c'est à la base de notre système: le plaidoyer de culpabilité doit être exempt de pression, fait de façon libre et volontaire», explique la chercheuse, qui a réalisé cette étude avec une candidate au doctorat en criminologie à l'UdeM, Elsa Euvrard.

Même si 90% des causes se règlent par une reconnaissance de culpabilité, ce qui évite du même coup un procès, très peu de chercheurs se sont intéressés à la question des négociations entre la poursuite et la défense entourant la fameuse reconnaissance - ce que les anglophones appellent le «plea bargaining». Au Québec, la dernière recherche sur le sujet remontait à 25 ans.

Pratique inquiétante

Les chercheuses ont ainsi interrogé une soixantaine d'accusés et une douzaine d'avocats de la défense sur cette «pratique courante, mais méconnue et controversée», souligne Mme Leclerc. Parmi eux, 17% ont répondu avoir déjà plaidé coupable à une ou plusieurs accusations pour lesquelles ils se considéraient comme innocents. Dans tous les cas, leur avocat était au courant.

Ces négociations se déroulent hors de la salle d'audience, sans la présence de l'accusé et du juge, trop souvent «à la va-vite sur le coin d'une table», parfois même le jour où le procès doit commencer, explique la chercheuse.

Bien que minoritaires, ces accusés qui disent avoir subi de la pression pour plaider coupable ont souvent un point en commun: ils ont trouvé leur avocat peu dévoué à leur cause, quand ils n'ont pas eu carrément l'impression de s'être fait cacher des informations. Plusieurs d'entre eux n'ont pas compris les impacts qu'auraient pour eux un casier judiciaire, alors que leur avocat mettait l'accent uniquement sur la peine clémente.

Certains ont raconté avoir plaidé coupable pour sortir de prison plus rapidement, puisqu'ils se trouvaient en détention préventive depuis leur arrestation. Leur avocat a ainsi négocié une peine clémente au détriment de leur innocence, alors qu'ils auraient passé des mois, voire des années en prison avant d'être possiblement acquittés à la suite d'un procès, poursuit Mme Leclerc.

D'autres accusés affirment avoir manqué de moyens pour payer «un bon avocat» pour un procès. Ils ont donc choisi d'en finir avec leur cause plutôt que de se battre à armes inégales devant les tribunaux.

Autre pratique marginale, mais tout aussi préoccupante, selon la chercheuse: des accusés lui ont raconté s'être fait demander de l'argent «sous la table» par leur avocat pour augmenter leurs chances de remporter leur cause, prétextant devoir soudoyer un juge, un témoin ou le procureur de la poursuite. Ces mêmes avocats invoquent le fait qu'ils ne sont pas assez payés lorsqu'ils acceptent un mandat d'aide juridique.

«Je n'ai pas enquêté sur ces allégations de corruption. Il est possible que ce ne soit qu'une façon trouvée par les avocats de défense pour augmenter leurs revenus, tout simplement, mais c'est inquiétant», dit la professeure en criminologie.

Avocats débordés

Parmi les avocats de défense interrogés par les chercheuses, certains ont critiqué la pratique «à volume» de confrères qui prennent tellement de clients qu'ils n'ont pas le temps pour des procès. Cela augmente la pression mise sur les clients - qui ignorent le plus souvent que leur avocat est débordé - à plaider coupable, toujours selon cette étude.

Dans la majorité des négociations entourant une reconnaissance, «tout se passe bien», tient à nuancer Mme Leclerc. Mais un seul cas d'accusé innocent qui subit de la pression pour plaider coupable est un cas de trop, insiste-t-elle.

La professeure de criminologie conclut que les accusés gagneraient à être mieux renseignés sur leurs droits et les obligations de leur avocat. À titre d'exemple, des ressources neutres pourraient organiser des séances d'information pour les accusés en détention préventive, suggère Mme Leclerc.