Au fil des perquisitions, l'Unité permanente anticorruption (UPAC) exerce une pression accrue sur les acteurs du scandale des compteurs d'eau à Montréal. Hier, c'était au tour de l'ancien maire Gérald Tremblay de recevoir la visite impromptue de la police à la recherche de faits nouveaux susceptibles d'étoffer l'enquête. Mais déjà, on apprend, grâce à deux mandats de perquisition dont le tribunal a autorisé la diffusion hier, que l'UPAC détient des éléments qui tendent à démontrer que le dossier a été marqué par la complaisance des uns et les jeux d'influence des autres.

Le scandale des compteurs d'eau prend l'allure d'un vaste complot où les adversaires auraient marché main dans la main pour réduire la concurrence, et ce, de concert avec la firme BPR et son président. Ceux-ci ont appuyé et conseillé l'administration Tremblay-Zampino dans ce qui devait être l'un des plus grands chantiers de l'histoire de Montréal.

Dans deux dénonciations visant à obtenir les mandats de perquisition exécutés au cours des dernières semaines, l'Unité permanente anticorruption (UPAC) soutient avoir «des motifs raisonnables et probables de croire que des actes d'abus de confiance, de fraude et de complot ont été commis» dans le dossier des compteurs d'eau. Ces documents judiciaires, obtenus hier auprès d'un tribunal par un consortium de médias dont fait partie La Presse, détaillent et clarifient le rôle de certains acteurs de ce dossier. Certaines pages demeurent toutefois caviardées.

Cela survient alors que l'UPAC a perquisitionné hier à la résidence et au chalet de l'ancien maire Gérald Tremblay (voir autre texte) relativement aux compteurs d'eau. Depuis le 2 juillet dernier, l'UPAC a mené des opérations semblables auprès de l'ancienne garde rapprochée de M. Tremblay ainsi que dans quatre firmes de génie-conseil et chez leurs anciens dirigeants.

Selon les éléments de l'enquête (Projet Fronde) exposés par l'UPAC dans les dénonciations, il apparaît que l'ancien président de la firme BPR, Pierre Lavallée, aurait manoeuvré tout le long du processus d'octroi du contrat (355 millions, auxquels s'ajoutent 68 millions en dépenses accessoires). Des personnes (des fonctionnaires aux premières loges dans la gestion du dossier, par exemple) dont le nom a été caviardé ont rencontré des enquêteurs de l'UPAC. Ils leur ont affirmé que M. Lavallée avait influencé les décideurs et les élus qu'il rencontrait régulièrement, sur plusieurs plans: écarter des soumissionnaires (Veolia et SNC-Lavalin), augmenter l'ampleur du contrat en y intégrant un mandat qui devait faire l'objet d'un contrat parallèle et faire gonfler le prix de la soumission.

Concernant ce dernier élément, l'UPAC affirme que le président de BPR «s'est ingéré dans la fixation du prix final». La façon de faire a consisté à produire une «soumission étalon», c'est-à-dire une proposition fictive mais plausible, permettant d'évaluer les soumissions des deux consortiums en lice. BPR a donc répondu à son propre devis qu'elle avait préparé.

Or, si cette voie ne semble pas inhabituelle pour de très grands contrats, elle doit répondre à certains critères. Ainsi, la préparation de la «soumission étalon» devait relever uniquement du bureau de Québec «par souci de transparence et finalement mise dans une enveloppe scellée». Dans les faits, 50% de la «soumission étalon» a été préparée par le bureau montréalais de BPR et elle était marquée par l'insistance de M. Lavallée pour que le prix ne soit pas inférieur à 300 millions.

Et pendant ce temps, l'UPAC raconte que M. Lavallée avait des réunions avec les dirigeants de Génieau qui allait remporter le contrat en décembre 2007. «À l'ouverture des enveloppes, il y aura une différence très mince entre le prix de la soumission étalon et celle de Génieau, soit environ six millions», écrit l'UPAC.

Concertation des concurrents

Les deux soumissionnaires au projet, Génieau (Dessau et Simard-Beaudry) et le consortium Catania-SM, n'ont pas toujours travaillé chacun de leur côté, révèle l'UPAC. Selon des courriels détenus par la police, le responsable de la soumission chez Catania a dit à son vis-à-vis chez Dessau qu'il avait besoin de «son input». Comme le note l'UPAC, Catania a donc demandé «à son [concurrent] de remplir une partie de [sa] soumission qui sera déposée à la Ville».

Selon les documents, une source s'est confiée à la police et a indiqué que chez Catania, on disait que les concurrents à Génieau ne devraient pas perdre de temps à préparer une proposition. D'ailleurs au moment du dépôt de la soumission, le consortium Catania-SM a manifesté son manque d'intérêt; une semaine plus tard, il voulait même se retirer, raconte une personne dont l'anonymat est protégé.

Un dernier élément soulevé par l'UPAC donne encore plus de poids à l'idée que la soumission de Catania-SM avait été déposée par «complaisance». Dans un courriel entre le consortium et la compagnie d'assurances Travelers Canada (qui devait agir comme agent de cautionnement), la situation est clairement exposée. «Nous comprenons, écrit un responsable de Travelers, que vous désirez déposer une soumission pour le projet ci-haut mentionné mais n'avez pas l'intention d'obtenir le contrat et de l'exécuter pour des raisons commerciales qui vous sont propres».

Pour finir, il y a eu entente entre les parties: il n'y aurait pas de cautionnement même si le consortium était le plus bas soumissionnaire. Le document est signé par Catania et la firme SM, indique la police.

Toutes les informations contenues dans les dénonciations policières constituent des allégations qui n'ont pas été prouvées devant une cour de justice. Aucune accusation n'a été portée jusqu'à maintenant.