Ils ont vu 74 de leurs amis exécutés, asphyxiés, brûlés ou poignardés au nom d'un «transit» vers la planète Sirius, mais ils sont toujours sur terre pour raconter leur histoire.

Les survivants des tueries de l'Ordre du temple solaire (OTS) réalisent leur chance quasi miraculeuse, 20 ans après le début des tueries de cette secte passée à l'histoire de la pire des façons. Une boucherie étalée sur trois ans, entre le Québec et l'Europe, entre conviction et manipulation.

Cinq morts à Morin-Heights, dans les Laurentides. Quarante-huit à Cheiry et Salvan, en Suisse. Seize dans le Vercors, en France. Cinq à Saint-Casimir, près de Québec.

Pendant un moment, Pierre Domingue a regretté de ne pas être parti «vers Sirius» avec ses ex-confrères de l'OTS. Il s'était écarté du groupe quelques mois avant que les suicides et les massacres ne débutent.

«Au moment où ça arrive, c'est bien plus facile de partir que de rester. C'est ça que j'ai vécu à un moment donné», a-t-il confié à La Presse, la semaine dernière.

Pierre Domingue est maintenant consultant en agriculture biologique. Aujourd'hui comme il y a 20 ans, il s'intéresse à la spiritualité et à la croissance personnelle. Il est d'ailleurs entré à l'OTS en assistant aux conférences du docteur Luc Jouret, l'une des deux têtes dirigeantes du groupe.

«Ç'a été l'éveil pour m'intéresser à tout ce monde», a-t-il dit. Jouret «avait le verbe facile et il était sincère au début, il n'y a pas de doute là-dessus».

Le médecin d'origine belge était le visage de l'OTS, avec son charisme, ses diplômes et sa carrière de conférencier new age international. Dans son ombre: Joseph Di Mambro, véritable leader spirituel de la secte.

Ensemble, Jouret et Di Mambro créent «Golden Way» au début des années 80, une organisation qui cédera sa place, quelques années plus tard, à l'Ordre du temple solaire. L'OTS se réclamait de l'héritage des templiers, un ordre chevaleresque aboli au Moyen-Âge après avoir été accusé de sorcellerie et d'hérésie.

Jouret et Di Mambro ponctuaient la vie de leurs fidèles de rituels en toges blanches et de séances d'occultisme. Des effets spéciaux devaient leur faire croire à des phénomènes paranormaux.

Des questions sans réponse

Paul Audsley a perdu sa femme Jocelyne Grand'Maison dans le massacre de Cheiry (23 morts). N'eût été les limitations imposées par son travail, il aurait lui aussi fait le voyage entre Québec et la Suisse à la demande des leaders de l'OTS. Mme Grand'Maison était journaliste au Journal de Québec.

«Il reste toujours des questions», laisse-t-il tomber en entrevue avec La Presse, d'une voix frêle. «C'était pas une secte pour elle, c'était autre chose.»

Paul-André Auclair était persuadé de faire partie d'un groupe d'initiés ayant accès à un niveau de compréhension du monde dont les autres hommes ne réalisaient même pas l'existence.

À la fin des années 80, il s'est installé avec sa femme à Sainte-Anne-de-la-Pérade, près de Québec, où l'OTS avait une ferme biologique.

Lui était membre de l'OTS, elle non. Lui adhérait complètement aux normes du groupe, elle se limitait à apprécier les principes écologiques et de croissance personnelle.

Sans prévoir directement les suicides collectifs, Danielle Auclair craignait que son mari ne soit victime d'un éventuel dérapage de l'OTS. «Moi je voulais être là, parce que je me disais qu'un jour ça ne fonctionnerait plus pour lui, a-t-elle relaté en entrevue. Je voulais être là, je voulais le récupérer. Je ne voulais pas l'abandonner.»

Paul-André Auclair a pris ses distances de l'OTS en 1992-1993. Sa femme n'est pas certaine qu'elle aurait pu le sauver si les suicides collectifs avaient eu lieu quelques années avant, au Québec. Car tel était le plan des dirigeants de la secte, avant qu'une enquête policière ne fasse dérailler ses plans.

Le policier Jacques St-Pierre a participé à cette enquête sur un mystérieux achat d'armes prohibées, au début des années 90, avant d'être chargé de faire la lumière sur le suicide collectif de Morin-Heights.

L'OTS avait été mis sur écoute après qu'une mystérieuse lettre de menace eut été envoyée au premier ministre de l'époque, Robert Bourassa. «Ils cherchaient des armes à feu de façon illégale», a relaté le policier à la retraite. «C'est quand on a fait la scène [de Morin-Heights] en 1994 qu'on a réalisé qu'en 1993, ils préparaient le transit vers Sirius.»

L'enquête de 1993 avait mené à la condamnation de Luc Jouret pour des accusations liées à l'entreposage d'armes à feu. Il avait été condamné à 1000$ d'amende par la justice québécoise. L'année suivante, il menait ses disciplines «vers Sirius», dans le sang et les cris.

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Joseph Di Mambro, coleader de l'Ordre du temple solaire. 

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Luc Jouret, coleader de l'Ordre du temple solaire.