Pas toujours besoin d'un hélicoptère pour s'évader d'un centre de détention au Québec. L'erreur administrative semble beaucoup plus efficace. Erreur de jugement d'un stagiaire, mauvais calcul de sentences ou erreur informatique permettent, chaque année, à une vingtaine de détenus ou prévenus de goûter à quelques jours de liberté. C'est ainsi qu'une erreur de frappe a permis à un présumé agresseur sexuel de célébrer le jour de l'An, libre comme l'air.

Selon des documents obtenus grâce à la Loi sur l'accès à l'information, 182 personnes incarcérées dans les centres de détention de la province ont été libérées par erreur depuis 2006.

Parmi les personnes libérées, certaines étaient incarcérées pour vol, complot, non-respect de conditions de probation, possession de stupéfiants, introduction par effraction, agression armée, méfait, menaces, mais aussi délits et agressions sexuelles.

Jean-Philippe Guay, attaché politique de la ministre de la Sécurité publique Lise Thériault, affirme qu'en date d'aujourd'hui, aucune personne ne se trouve en liberté illégale en raison d'une erreur. Il ajoute que plusieurs cas sont en fait des erreurs de calcul de sentences «de deux ou trois jours en moyenne».

«La conséquence n'est jamais très grave», soutient-il. Mais selon les documents consultés par La Presse, on constate que ces erreurs administratives ne sont pas que de simples remises en liberté avancées. Des peines de quatre ans se sont parfois volatilisées et des prévenus qui ne devaient pas être libérés afin de protéger une conjointe victime de violence sont passés entre les mailles du filet.

On constate que, très souvent, l'erreur se produit lorsqu'un détenu comparaît dans différents dossiers et se retrouve avec un double statut, ce qui créé une certaine confusion.

Par exemple, un homme incarcéré à Rivière-des-Prairies a comparu à Longueuil concernant deux causes, le 31 décembre 2012, et a obtenu une libération pour une seule. Le rapport d'événement indique qu'à la suite d'une «erreur de frappe», sa libération a été autorisée. Ce n'est que le 3 janvier que le centre a réalisé la bourde. Le prévenu, accusé notamment d'agression sexuelle, aura eu le temps de fêter l'arrivée de la nouvelle année. Quant à la gestionnaire fautive qui était de retour d'une absence de longue durée, elle a dû suivre une formation sur la gestion des sentences.

Lorsqu'une erreur est constatée, le centre de détention tente aussitôt de joindre la personne (ou son avocat) pour lui demander de revenir de son plein gré... ce qui ne fonctionne pas à tous les coups! «Nous demandons à ce que monsieur X intègre l'établissement, et ce, à plusieurs reprises, mais en vain. Il lui a même été proposé que l'établissement aille chercher monsieur X sans succès», peut-on lire dans un rapport obtenu par La Presse et qui concerne un prévenu du Centre de Rivière-des-Prairies qui était accusé notamment de voies de fait.

Si la personne refuse de retourner en prison, un mandat d'arrestation peut être lancé et l'absence est alors considérée comme une évasion.

Des «plaques tournantes» plus vulnérables

Les détenus et prévenus des Centres de détention de Saint-Jérôme et de Rivière-des-Prairies bénéficient plus souvent de ces erreurs que n'importe quels autres prisonniers.

«Ces centres ont des volumes plus importants d'admissions et de transferts, ce sont des plaques tournantes; plus il y a de mouvement, plus il y a de possibilités d'erreurs», explique M. Guay.

On constate également quelques cas où les détenus profitent du manque de communication entre les services correctionnels du Québec et de l'Ontario. Ce peut être un détenu au Centre de détention de Hull, au Québec, qui est libéré alors qu'il devait être remis aux autorités ontariennes ou transféré pour purger une autre peine dans cette province.

«Ça peut être un problème, car il n'y a pas nécessairement de vases communicants entre les prisons québécoises et ontariennes, entre le fédéral et le provincial», affirme Mathieu Lavoie, président du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec.

Nouvelles mesures en place

Le ministère de la Sécurité publique souligne que, depuis 2010, où le nombre de libérations par erreur a atteint un sommet de 37, plusieurs mesures ont été mises en place. En 2013-2014, on comptait 17 libérations par erreur.

«On a resserré la vigilance depuis 2010, des personnes- ressources aident aux calculs des peines dans chaque centre de détention et un responsable en calcul de peine a aussi été nommé au Ministère pour coordonner l'ensemble», explique M. Guay.

Dans la dernière année, 43 000 admissions ou mouvements de personnes incarcérées ont été effectués, ajoute l'attaché de Mme Thériault.

En tout, ce sont environ 4000 personnes qui sont incarcérées dans les établissements provinciaux, selon le syndicat.

- Avec Serge Laplante et William Leclerc

Quelques cas

Poursuite à pied

En juillet 2013, au Centre de détention de Québec, un homme est incarcéré pour une peine de 90 jours qu'il purge le dimanche et le lundi. Il ne doit pas être libéré puisqu'un mandat d'incarcération a été reçu le jour de sa sortie. Au moment où il quitte la prison, un agent constate l'erreur et interpelle le détenu. «Monsieur marche rapidement vers l'est, près du viaduc de l'autoroute Laurentienne. Alors suivi par le véhicule, le sujet emprunte un chemin dans le boisé adjacent. Le chef d'unité et le commis engagent une poursuite à pied et interpellent à plusieurs reprises le sujet. La poursuite prend fin alors que monsieur est perdu de vue», dit le rapport.

Mandat mal placé

En octobre 2010, un prévenu du Centre de détention de Rivière-des-Prairies est condamné à une journée d'incarcération. En soirée, l'administration reçoit une lettre qui indique que l'individu est accusé dans trois autres dossiers, pour possession de stupéfiants et conduite dangereuse, notamment. «Il semble que l'étudiante qui travaille à ce service ait placé le mandat par mégarde dans les documents à classer», peut-on lire. L'homme n'aurait pas dû être libéré. Après divers échanges entre son avocat et la direction du centre, il accepte de se rendre deux jours plus tard.

Violence conjugale

Le 25 mai 2012, un prévenu du Centre de détention de Saint-Jérôme comparaît au palais de justice de Laval pour voies de fait dans un contexte conjugal. Il accepte de verser une caution de 2000$. La cour demande toutefois à ce qu'il ne soit pas libéré avant le 30 mai afin de laisser la victime «réorganiser sa vie». Or, quelques instants plus tard, il quitte le palais de justice. Un avis de liberté illégale est aussitôt publié et la victime est informée de la situation par la police. Le père du prévenu est contacté et les informe que son fils se rendra d'ici 20h, ce qu'il fera.