Le gouvernement Harper a subi un autre revers devant les tribunaux sur sa réforme de la loi et l'ordre: la Cour suprême du Canada a confirmé dans une série de trois décisions unanimes rendues vendredi que le temps passé en détention avant le prononcé de la sentence peut bel et bien accélérer la libération d'un détenu.

Ces dossiers mettaient en cause la Loi sur l'adéquation de la peine et du crime, adoptée par le gouvernement fédéral en 2010. Cette loi a aboli la pratique de comptabiliser en double le temps passé par un délinquant derrière les barreaux avant le prononcé de la sentence. Elle l'a remplacé par la règle du «un pour un», sauf «si les circonstances le justifient», par un ratio de 1,5 jour par journée de détention présentencielle. 

Ottawa affirmait que ce ratio de 1,5 ne devait pas être imposé dans toutes les circonstances et que la règle générale demeure le nouveau ratio du un pour un. «Tout le monde obtient l'exception et personne n'obtient ce que nous estimons être la règle de base», a dénoncé le procureur de la Couronne, David Schermbrucker. 

Mais dans une série de trois décisions, dont celle dans l'affaire Summers de l'Ontario et Carvery de la Nouvelle-Écosse, la Cour suprême a confirmé vendredi la discrétion des juges dans le choix du calcul approprié. Elle n'a pas rétabli le ratio du deux pour un, mais elle a réitéré les raisons pour lesquelles une journée de détention présentencielle peut compter pour plus d'une journée dans plusieurs circonstances: cette détention n'est pas prise en compte pour la libération conditionnelle ou anticipée et les conditions sont habituellement plus dures que dans les établissements correctionnels.

«Il n'est donc pas problématique que presque tous les délinquants détenus préventivement puissent avoir droit au crédit majoré en raison de la perte subie aux fins de l'admissibilité à la libération anticipée ou à la libération conditionnelle», peut-on lire dans sommaire de la décision.

«Il me paraît toutefois inconcevable que le législateur ait voulu écarter une pratique rationnelle ayant cours depuis longtemps en matière de détermination de la peine, mais qu'il ne l'ait pas fait de manière explicite», ont ajouté les juges.

La Cour a maintenu le recours au ratio du un pour un dans les cas expressément énoncés dans le Code criminel, notamment.

La Loi sur l'adéquation de la peine et du crime, aussi connue comme le projet de loi C-25, avait fait craindre aux services correctionnels des provinces et du fédéral une montée importante de la population carcérale. Ottawa a annoncé la construction de plus de 2000 nouvelles places dans ses pénitenciers dans la foulée de ces changements, et Service correctionnel Canada avait modifié sa politique pour permettre un recours accru à la double occupation des cellules.

«Notre gouvernement poursuit actuellement l'examen de cette décision et de ses implications», a réagi le ministre de la Justice, Peter MacKay.

«Notre gouvernement a agi à l'aide d'une mesure législative, appuyé par les procureurs généraux des provinces et des territoires, afin de limiter le crédit à 1 pour 1, et de permettre jusqu'à 1,5 pour 1 lorsque les circonstances le justifient. Ces limites demeurent en vigueur», a-t-il ajouté.

Ce n'est pas la première fois que les tribunaux s'inscrivent en faux face aux changements apportés au système de droit criminel par le gouvernement Harper pour le rendre plus sévère. La Cour suprême a maintenu il y a deux semaines l'inconstitutionnalité de la rétroactivité de la libération conditionnelle au sixième de la peine, ce qui a mené à la libération du fraudeur montréalais Earl Jones. Elle doit se prononcer prochainement sur la constitutionnalité de certaines peines minimales pour possession d'arme à feu.

À travers le Canada, de nombreux juges d'instances inférieures dérogent aussi à l'obligation d'imposer une amende supplémentaire aux délinquants pour financer certains programmes destinés aux victimes. Ces juges dénoncent le fait que plusieurs délinquants n'ont pas les moyens de payer cette suramende.

«Encore une décision du gouvernement conservateur en matière de justice qui ne passe pas le test des tribunaux!», a déploré la députée du NPD Rosane Doré Lefebvre.

«Je ne suis pas surprise que ça n'ait pas passé le test des tribunaux et quant à moi, ça représente encore une fois le manque de jugement des conservateurs dans leurs décisions en matière de justice», a ajouté Mme Doré Lefebvre.