La trahison de l'ancien enquêteur-vedette du Service de police de la Ville de Montréal Benoit Roberge a coûté au moins 1 million de dollars en fonds publics. En plus d'avoir mis en péril la vie d'informateurs de police, il a compromis plusieurs enquêtes d'envergure.

C'est l'évaluation prudente qu'a faite la poursuite, hier, des dommages qu'avait causés la taupe du SPVM au moment où elle a reconnu avoir vendu de l'information privilégiée au Hells Angel René Charlebois.

L'homme de 50 ans a plaidé coupable à deux chefs d'accusation d'abus de confiance et de gangstérisme, hier, au palais de justice de Montréal. Les crimes se sont déroulés sur une période de 5 mois, soit entre le 1er octobre 2012 et le 1er mars 2013.

L'étendue des dommages causés par la taupe est difficilement calculable, a souligné le procureur de la Couronne, Maxime Chevalier. «Ça pourrait dépasser le million en fonds publics», dont 400 000$ dans l'un des projets d'enquête majeurs que Roberge a fait capoter, a-t-il expliqué.

Roberge a vendu des informations au crime organisé concernant au moins trois informateurs de police. «Il savait très bien ce que le crime organisé allait faire avec ces informations», a plaidé Me Chevalier. Il ne s'agissait pas «d'un geste impulsif et unique», a-t-il renchéri.

Des vies en danger

La taupe aurait donné «200 noms» aux Hells Angels, notamment ceux de suspects dans des enquêtes en cours qui ont réussi à prendre la fuite avant les frappes policières, selon le témoin principal de la Couronne qu'une ordonnance du tribunal nous empêche de nommer. Ce témoin a remis à la police 10 conversations téléphoniques enregistrées entre Charlebois et Roberge, à l'insu de ce dernier.

Une «centaine de personnes seraient en danger», selon des documents déposés en cour. On y apprend aussi que la poursuite a envisagé d'accuser l'ancien policier de complot de meurtre.

En échange de 1 million de dollars, la taupe du SPVM aurait été prête à dévoiler où se cachaient les délateurs Sylvain Boulanger - témoin-vedette de la poursuite dans l'opération Sharqc - et Stéphane Gagné, témoin-vedette de l'opération Printemps 2001 qui a permis de faire condamner le chef des Hells Maurice Boucher, toujours selon ce témoin.

Le contrôleur contrôlé

Durant sa longue carrière dans la police, Roberge était reconnu pour ses aptitudes à recruter des criminels et leur faire retourner leur veste. Il se serait fait prendre à son propre jeu.

Dans les conversations entre les deux hommes, «on a l'impression que Charlebois contrôle M. Roberge comme source», a expliqué le procureur de la Couronne, Me Chevalier. Le motard le valorisait: «Tu es assis dans le plat de bonbons avec Madeleine [Me Madeleine Giauque, procureure en chef de l'opération SharQc]».

Par ailleurs, la femme de Roberge - procureure de la Couronne au Bureau de lutte au crime organisé - pilotait un volet du dossier d'enquête Loquace dans lequel 17 suspects, dont la tête dirigeante, se sont évanouis dans la nature après avoir été prévenus de l'enquête. La poursuite estime qu'elle n'a rien à se reprocher.

Menaces et chantage

Hier, Roberge a dit qu'il avait agi sous «l'influence de menaces et de chantage», le Hells Charlebois l'ayant présumément menacé de s'en prendre à sa famille immédiate. En pleurs, l'accusé a exprimé le regret de ne pas en avoir parlé à ses supérieurs dès les premières menaces plutôt que de basculer du côté obscur.

La poursuite et la défense ont recommandé au juge Robert Marchi de lui imposer huit ans de pénitencier. Le juge rendra sa décision le 4 avril.

«Ma vie a été détruite. Le combat se termine aujourd'hui pour le bien de ma famille, qui souffre énormément», a affirmé, l'air penaud, l'homme passablement amaigri.

Versions changeantes

Lorsqu'il s'est adressé au juge Marchi, l'accusé a écorché le témoin principal de la poursuite. «Le témoin principal dans cette cause a avoué s'être contredit. Les fausses allégations m'ont causé à moi, ma conjointe et mes confrères policiers des dommages irréparables», a dit l'ex-enquêteur.

Dans une première déclaration à la police, ce témoin indique que Roberge avait deux complices policiers. Or, le policier corrompu assure avoir agi seul. D'ailleurs, l'enquête de la Sûreté du Québec n'a pas permis d'arrêter de complices.

Les sommes que Roberge aurait récoltées pour livrer des informations sont également moins élevées que le témoin ne le disait au départ. Elles sont de l'ordre d'environ 125 000$ et non de 500 000$.

Toujours dans sa première déclaration, le témoin de la poursuite parlait de un demi-million. Or, il est revenu plus tard sur sa déclaration, affirmant qu'il avait transporté quelque 360 000$ pour le compte de Charlebois sans savoir à qui ces sommes étaient destinées, a expliqué l'avocat de l'accusé, Me Richard Perras.

Roberge assure avoir touché environ 125 000$. Il en a remis 115 000. En effet, l'ancien policier a décidé la semaine dernière de collaborer avec les enquêteurs de la SQ et les a menés à une cache contenant 94 000$.

Dans son résumé des faits, la poursuite n'a pas mentionné les menaces dont Roberge aurait fait l'objet. «La véritable motivation de l'accusé nous échappe», a dit la poursuite.