Presque cinq ans après la gigantesque opération anti-motards SharQc, aucun procès n'a encore été tenu. Mais la facture liée aux procédures dépasse déjà largement les 30 millions de dollars.

Et la note pour les contribuables ne cesse de grimper.

La Presse a obtenu, à la suite de demandes en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, des documents détaillant les dépenses de divers organismes provinciaux impliqués dans les procédures entamées après l'opération du 15 avril 2009 et qui avaient permis d'accuser 156 membres présumés ou relations des Hells Angels.

La Commission des services juridiques (aide juridique), les ministères de la Justice et de la Sécurité publique, ainsi que le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) déclarent avoir dépensé jusqu'au début de l'automne dernier 29,1 millions.

Mais on peut aisément parler d'une somme dépassant, et de beaucoup, les 30 millions, parce qu'un intervenant majeur a refusé de dévoiler ses chiffres, soit la Sûreté du Québec (SQ).

La police provinciale a invoqué que la divulgation de ses dépenses pourrait avoir «des incidences sur l'administration de la justice et la sécurité publique».

Il semble également que la SQ n'ait pas compilé les dépenses spécifiquement liées à SharQc pour les trois premières années du dossier (2009-2011), les considérant plutôt comme faisant partie des coûts liés aux procès en général.

«La SQ n'a toujours pas terminé le travail lié à la confection de la preuve à être divulguée à la défense. Ils ont demandé un délai et disent travailler à temps plein là-dessus. Plusieurs policiers sont présents à chaque audience au tribunal. En plus des contrats des délateurs. Juste ça, ça représente plusieurs millions de dollars», explique un intervenant d'expérience dans le dossier SharQc.

Les avocats d'accusés admissibles à l'aide juridique ont quant à eux reçu de l'État des honoraires s'élevant à 13,3 millions.

Les procureurs du Bureau de lutte au crime organisé (BLACO) chargés du dossier et leurs employés de soutien, ce qui tourne autour de 15 personnes selon les années, ont obtenu des salaires de 7,7 millions depuis le début.

Et devant la complexité sans précédent du dossier, le compteur est loin d'être à la veille de s'arrêter.

Retour à la case départ

La décision récente par la Poursuite d'arrêter les procédures contre les 51 accusés restants, et de déposer contre eux un nouvel acte d'accusation, est presque un retour à la case départ. Puisqu'il s'agit techniquement d'un nouveau dossier, les avocats de la défense doivent présenter de nouvelles demandes pour être payés par l'Aide juridique. Dans l'attente d'une imprévisible réponse qui tarde à venir, peu de travail s'effectue.

On peine donc à prévoir une date de début du procès des 51 accusés.

Les avocats de la défense préparent en plus de nombreuses requêtes préliminaires. Ils souhaitent aussi obtenir la preuve dans le dossier de l'accusé Benoit Roberge, un policier spécialiste des motards qui a témoigné dans les étapes préliminaires de SharQc.

«Pour l'instant, on ne peut mesurer l'impact. Mais si la preuve démontre qu'au moment où il a témoigné dans SharQc, la police était au courant des gestes qui lui sont reprochés [à Benoit Roberge], ça pourrait avoir un impact majeur sur la suite des choses», analyse Me Nellie Benoit, qui représente un des accusés.

Elle convient que le coût des procédures est élevé, mais comme la plupart de ses collègues, elle l'attribue aux choix stratégiques de la poursuite et de la police.

«On avait eu du succès avec Printemps 2001 et cette fois, on voulait éradiquer les Hells Angels. Mais on a tout mis ça dans les mains du système judiciaire sans tenir compte de sa capacité à gérer pareil dossier. La Poursuite a vu trop grand. Si on avait accusé de meurtre seulement ceux pour lesquels la preuve est plus directe, on aurait eu une vingtaine d'accusés et ça aurait été plus simple dans tous les dossiers», déplore Me Benoit.

«Nous avons fait les choix que nous croyons justifiés pour que justice soit rendue», répond Me Jean-Pascal Boucher, porte-parole du DPCP.

- Avec la collaboration de Serge Laplante

Trois dates

15 avril 2009 : 156 membres et sympathisants présumés des Hells Angels sont arrêtés. Ils sont divisés en six groupes, soit les sections de Montréal, South, Trois-Rivières, Québec, Sherbrooke et les sympathisants. Les cinq groupes devaient avoir deux procès, un pour meurtres et un pour gangstérisme et trafic de drogue. Les sympathisants n'avaient qu'un procès lié au trafic. Un total de 11 superprocès.

31 mai 2011 : le juge de la Cour supérieure James Brunton décrète l'arrêt de procédures pour les 31 sympathisants et annule les procès des cinq groupes dans les dossiers de gangstérisme. Selon lui, les procès auraient duré jusqu'en 2023.

30 août 2013 : après plusieurs accusés ayant plaidé coupable à des accusations réduites, il ne reste que 51 accusés. Le DPCP décrète l'arrêt des procédures pour les cinq procès prévus et dépose contre le groupe un nouvel acte d'accusation. Le juge Brunton a divisé le groupe en deux.

Principales dépenses liées à SharQc

Honoraires des avocats dont les clients sont admissibles à l'aide juridique

13,3 millions

Directeur des poursuites criminelles et pénales

  • Salaire des procureurs et employés de soutien : 7,7 millions
  • Autres frais (loyer, téléphone, indemnités aux témoins, etc.) : 1,9 million
Ministère de la Sécurité publique

  • Salaire des agents correctionnels au Tribunal et lors des visites d'avocats en prison : 5,3 millions
  • Aménagement d'une salle de consultation de la preuve à la prison de Bordeaux : 210 800 $
Ministère de la Justice

  • Salaires et frais du personnel de la cour (huissiers, greffiers, etc.) et frais de fonctionnement et sécurisation du   Centre de services judiciaires Gouin : 497 102 $
 Sûreté du Québec

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