En deux semaines, deux affaires de terrorisme ont secoué les États-Unis et le Canada. Dans le premier cas, Boston, il s'agit d'un drame qui aurait pu être évité, croient certains. Dans le second cas, Montréal et Toronto, les enquêteurs ont agi avant.

La pression est énorme sur les épaules de ceux qui luttent contre le terrorisme et leur droit à l'erreur est nul.

«Lorsque je me réveille le matin, j'espère qu'aucun détail fatal ne nous a échappé.»

Cette confidence d'un policier antiterrorisme résume bien le défi de leur mission.

Un suspect arrêté trop tôt, avant même qu'il ait fabriqué sa bombe, on les accusera d'avoir gonflé une histoire. Trop tard, ils seront évidemment accusés de négligence et d'incompétence.

«Nous, on doit toujours penser «menace» «, confie un autre spécialiste du domaine.

Selon nos informations, Chiheb Esseghaier et Raed Jaser étaient à coup sûr des cibles de palier «1A», code signifiant une menace extrême sur une échelle de 3 à 1. Cela implique le déploiement de tous les moyens de surveillance humains et techniques possibles.

Un individu est coté 3 lorsqu'un signalement entre à son sujet. Au fil de l'enquête, en fonction des renseignements obtenus localement et parfois en provenance de partenaires étrangers, il grimpera jusqu'au niveau 1. Un processus dynamique.

Si c'est le SCRS qui reçoit le renseignement originel, le cas sera transféré à la GRC dès qu'il y a matière à poursuite criminelle. Mais le SCRS poursuivra son travail de renseignement de sécurité en parallèle. Éventuellement, ils se partageront les filatures.

Sans domicile fixe

Dans le cas d'Esseghaier, il devenait, dit-on, de plus en plus imprévisible, instable.

Le changement dans un comportement ou une habitude d'un tel suspect est un signal connu qui allume toujours une lumière rouge.

Pour ne rien arranger, sans domicile fixe, il errait beaucoup, en particulier dans le métro, et utilisait les zones de wi-Fi gratuit pour communiquer.

Or, selon le Toronto Star, les ressources semblaient manquer pour surveiller adéquatement 24h sur 24 les deux individus.

Personne ne voulant d'un autre Mohamed Merah ou Tamerlan Tsarnaev, deux individus qui ont frappé alors qu'ils avaient été ciblés par les services de renseignement concernés, il devenait urgent de les neutraliser. Mohamed Merah a tué sept personnes, dont trois enfants, en 2012 à Toulouse, en France.

Même si le FBI avait demandé un délai à ses homologues canadiens, c'est l'enquêteur en chef qui a eu le dernier mot. C'est la règle.

«La crainte, c'est toujours que notre cible nous glisse sous les doigts», résume Michel Juneau-Katsuya, ex-agent du SCRS. Pourquoi attendre plus encore, dit-il, que la cible ait les mains dans sa bombe, s'il y a assez de preuves pour l'accuser au criminel. L'accusation de complot au profit ou en association avec un groupe terroriste prévoit déjà une peine de prison à perpétuité.

La filature de cibles de petite et moyenne importance peut impliquer de 8 à 16 personnes par quart de travail, donc jusqu'à 16 à 32 par période de 24 heures.

Si une journée, la priorité pour la GRC est un mafieux importateur de cocaïne ou un espion étranger, dans le cas du SCRS, le gérant d'opération va devoir prendre une décision.

«Une décision difficile, concède Ray Boisvert, qui était encore récemment directeur adjoint du SCRS. Mais la cible prioritaire sera toujours celle qui va tuer des gens, assure-t-il. Le défi est lorsque nous avons plusieurs cibles prioritaires dans la même région.»

Ou bien si cela fait des mois que la cible parle, parle, mais ne passe pas à l'étape concrète de la fabrication de la bombe. On arrive à un point où l'on ne peut pas la surveiller sans cesse. Notamment pour des raisons légales (mandats d'écoute électronique).

Une gestion et une maîtrise du risque indissociables des ressources matérielles disponibles et des impératifs législatifs, voilà le défi.