Une première demande de recours collectif a été déposée contre les firmes de génie ayant admis devant la commission Charbonneau avoir participé à un système de collusion à Montréal. Estimant que les Montréalais ont été floués, un avocat réclame des dizaines de millions aux entreprises.

Ironiquement, c'est un avocat de Québec, Me David Bourgoin, qui a déposé la demande, hier en Cour supérieure, au nom d'un citoyen montréalais. Il réclame, d'une part, 38 millions en dommages punitifs aux six firmes de génie et leurs dirigeants ayant témoigné devant les commissaires France Charbonneau et Renaud Lachance.

Il est aussi réclamé que les entreprises remettent 20% du montant des contrats truqués, une facture qui pourrait se chiffrer à plusieurs dizaines de millions de dollars. Rappelons que La Presse a sommairement évalué que la collusion pourrait avoir coûté de 350 à 500 millions.

«Les citoyens n'en ont pas eu pour leur argent, ils se sont fait dérober une partie de leurs taxes», dénonce Me Bourgoin. L'avocat précise que sa demande de recours collectif ne vise pas une remise de taxes pour les citoyens floués. «Ce n'est pas un remboursement qu'on veut. L'argent, on veut le remettre à la Ville dans un fonds pour des projets municipaux.»

«C'est une situation qui heurtait mon sens de la justice sociale. C'est beau de s'excuser devant la Commission, mais la meilleure excuse est de faire un chèque et, ça, ce n'est pas venu.»

Importants obstacles

Spécialiste des commissions d'enquête, l'avocat Simon Ruel estime que d'importants obstacles se dressent devant une telle demande de recours collectif. «Il n'y a pas de lien de droit, de lien contractuel, entre les citoyens et les entreprises. Je ne veux pas dire qu'il n'y a pas de fondement à leur cause, mais, légalement, ce sont les gens lésés, soit la Ville ou les autorités, qui devraient intenter un recours. Ça va être un obstacle», dit-il.

Me Bourgoin estime toutefois que les citoyens sont mieux placés que la Ville pour réclamer ces sommes. Celui-ci souligne que l'implication ou la connaissance du stratagème de plusieurs fonctionnaires et élus pourrait empêcher Montréal de poursuivre elle-même les entreprises qui se sont rendues coupables de collusion, une prescription de trois ans s'appliquant. Les rapports sur les coûts de la collusion ayant été cachés au public, les citoyens ont seulement appris lors de la commission Charbonneau l'existence d'un tel stratagème.

L'avocat compte présenter la preuve déposée à la commission Charbonneau pour appuyer sa cause. Si les témoins entendus lors de l'enquête publique bénéficient d'une immunité contre l'auto-incrimination, Me Bourgoin estime que cette protection ne s'étend pas aux dénonciations faites sur les autres entreprises en cause. «Ce que Michel Lalonde dit contre lui-même, on ne pourrait pas l'utiliser, mais ce que Rosaire Sauriol dit sur Michel Lalonde, il n'y a pas d'immunité contre ça», dit l'avocat spécialisé en recours collectifs.

Me Ruel confirme que l'immunité ne s'appliquera pas dans ce cas, mais que les témoins devront à nouveau témoigner. «Il faut refaire la preuve parce que les règles de preuve ne sont pas les mêmes», résume-t-il. Selon lui, les transcriptions des témoignages devant la commission Charbonneau pourraient seulement être utilisées pour attaquer la crédibilité des témoins.

Les deux avocats ont indiqué à La Presse ne jamais avoir entendu parler d'un recours collectif ayant été mené à terme dans un dossier similaire.