Soupçonné d'être au coeur d'un scandale médico-financier, leDr Arthur Porter se trouve dans le collimateur de l'UPAC. Visé par un mandat d'arrêt, l'ancien grand patron du CUSM se dit trop malade pour revenir au Québec. La Presse s'est donc rendue dans son lieu d'exil, les Bahamas, pour le rencontrer. Il a repoussé l'invitation.

Lorsqu'on lui parle d'Arthur Porter et du scandale qu'il a provoqué au Québec, le commissaire adjoint de la police des Bahamas, Hulan Hanna, esquisse un sourire complice. « C'est d'actualité. C'était dans nos journaux. Si c'est aussi sérieux qu'il y paraît, nous allons répondre de façon appropriée », laisse-t-il tomber alors que ses subordonnés hochent tous la tête en signe d'approbation.

Depuis que l'Unité permanente anticorruption (UPAC) a lancé un mandat d'arrêt à l'endroit de l'ancien patron du CUSM, qui habite maintenant Nassau en permanence, l'affaire fait grand bruit dans le petit paradis fiscal antillais. Partout dans les rues et les commerces, des gens découvrent son histoire à la première page des quotidiens.

Le réputé médecin, que le gouvernement local avait nommé à la tête d'un comité aviseur sur les cellules souches et qui possède une boîte de nuit populaire au centre-ville, est maintenant présenté comme un criminel en cavale qui s'est trouvé un refuge.

Pas dupes

Le commissaire adjoint Hanna, numéro trois de la police des Bahamas, n'accepte pas l'image que cela projette de son pays. Il respecte le droit d'Arthur Porter de contester une demande d'extradition vers le Québec, mais il prévient que ses troupes ne sont pas dupes.

«Nous comprenons comment le monde fonctionne. Notre pays ne se mettra pas dans le chemin de la justice. Les Bahamas ne sont pas un sanctuaire pour les criminels. Si quelqu'un commet un crime, vient aux Bahamas et que c'est porté à notre attention, il sera débusqué, traduit devant les tribunaux. Et si l'extradition est nécessaire pour lui faire quitter ce pays, elle sera utilisée», a-t-il lancé en entrevue avec La Presse dans son quartier général. Il dit vouloir préserver l'image de son pays et ses bonnes relations avec le Canada. «Notre commissaire et moi-même avons eu la chance de participer à un programme de formation au collège de la GRC, au Canada, et nous avons une excellente coopération avec eux», dit-il.

Il rit lorsqu'on lui souligne à quel point Arthur Porter a toujours bénéficié de sa proximité avec les pouvoirs politiques.

« Ça s 'arrête ici ! Nous accueillions des millions de personnes en visite. Mais ils sont ici à notre invitation, avec notre encouragement. S'ils viennent ici pour faire du trafic d'influence, pour devenir «connectés» et échapper à une arrestation justifiée, ils sont au mauvais endroit», martèle-t-il.

Un rôle à jouer

Son corps de police enquête t-il lui-même sur le mystérieux Arthur Porter et ses nébuleuses connexions partout autour du globe ? « Disons-le ainsi : nous ne sommes pas déficients en matière de renseignement.

Quand nous voyons des choses qui nous concernent à l'international, nous savons ce que nous avons à faire», laisse-t-il échapper en se redressant sur son siège. Mais il reste à voir si les actions suivront les paroles, souligne Jeff Todd, journaliste au Nassau Guardian, qui a été le seul média à rencontrer Arthur Porter depuis le lancement du mandat d'arrêt.

«Cette histoire n'est pas terminée. La police et le gouvernement auront un rôle à jouer, et les gens attendent de voir ce qu'ils feront. Arthur Porter est très enraciné dans la communauté ici depuis huit ans. Il voyageait constamment entre Montréal et les Bahamas, où il revenait les fins de semaine pour voir ses patients», explique-t-il.

Demande refusé

En attendant la suite des choses, Arthur Porter demeure terré dans la luxueuse communauté clôturée d'Old Fort Bay, un complexe résidentiel ultra-protégé bordé par de grands espaces verts au bord de la mer.

Aux abords de cet îlot paradisiaque, les gardiens sont maintenant habitués à voir débarquer des journalistes aux trousses du célèbre médecin. Ils chassent les intrus en hurlant dès qu'ils entendent le clic d'un appareil photo.

L'ancien patron du CUSM y était lors du passage de La Presse hier, mais dans un courriel, il s'est dit incapable de recevoir des visiteurs, car il subissait des traitements de chimiothérapie. Quant à son complice allégué, le financier Jeremy Morris, La Presse a découvert qu'il est déménagé et ne réside plus à l'adresse que les policiers québécois avaient ciblée dans leur mandat d'arrestation. Deux voisins, dont celui qui lui a acheté sa maison, affirment qu'il est maintenant locataire d'un logement situé juste en face. Il disparaît fréquemment, pour des voyages en Floride, selon ce qu'il a confié à sa nouvelle propriétaire.

«Mon Dieu, c'est horrible ! Je n'étais pas au courant pour Jeremy, j 'avais seulement entendu parler du médecin! », s'est exclamée la dame en apprenant l'implication de M. Morris. Aux bureaux de la firme High Tor, où il travaille, une dame a sèchement fermé la porte lorsque questionnée sur M. Morris, ajoutant qu'elle ne l'attendait pas dans un avenir proche.

Derrière elle, comme un clin d'oeil aux policiers lancés aux trousses de son collègue, quelqu'un avait laissé un petit animal en peluche sur le bureau: un ourson miniature vêtu d'un uniforme de la Gendarmerie royale du Canada.

LE FIL DES ÉVÉNEMENTS

Juillet 2009

Création de la Sierra Asset Management aux Bahamas.

Novembre 2009

Des courriels mystérieux

Entre le 1er novembre et le 17 novembre 2009, le président de la firme SNC-Lavalin, Pierre Duhaime, et le vice-président Riadh Ben Aïssa échangent cinq courriels, qui avaient pour titre «Rencontre », «CUSM» et «Acceptée CUSM».

Avril 2010

SNC Lavalin emporte la mise

Le consortium dirigé par la firme montréalaise SNC-Lavalin se voit confier, le 1er avril 2010, le mandat de construire le nouveau campus du CUSM.Selon l'UPAC, SNC-Lavalin verse 10 millions à Sierra Asset Management.

Juillet 2010

Transferts de fonds

Selon l'UPAC, SNCLavalin verse encore 5 millions à Sierra Asset Management. Un autre versement de 5 millions à Sierra Asset Management suivra en décembre.

Août 2011

Dernier transfert

SNC-Lavalin verse 2,5 millions à Sierra Asset Management, selon l'UPAC.

Décembre 2011

Porter démissionne

Quatre mois avant la fin de son mandat, Arthur Porter, qui était à la tête du CUSM, démissionne.

Septembre 2012

Porter utilisait des ressources du CUSM pour ses propres intérêts

La Presse révèle que l'ancien patron du CUSM, Arthur Porter, utilisait des ressources du centre hospitalier afin de mener des transactions personnelles.

Octobre 2012

Paiements douteux de 22,5 millions

La Presse révèle que des dirigeants de SNCLavalin ont autorisé des paiements de 22,5 millions à un «agent », afin d'obtenir le contrat du CUSM.

Novembre 2012

McGill dépose une plainte contre Porter

Alors que Pierre Duhaime, ancien PDG de SNC-Lavalin est arrêté par l'Unité permanente anticorruption pour fraude dans le dossier du CUSM, l'Université McGill dépose une poursuite contre Arthur Porter, l'accusant d'avoir floué l'établissement de 300 000$.

Février 2013

5 personnes visées par l'UPAC

L'UPAC frappe encore. Pierre Duhaime, ex-patron de la firme SNC-Lavalin, est arrêté, tout comme son ancien bras droit Yanaï Elbaz. En tout, cinq personnes sont visées. Ils sont notamment soupçonnés de fraude.

Photo Ryan Remiorz, PC

Arthur Porter, en 2006