La mort de la «soumise» lors d'une séance de sadomasochisme résulte-t-elle d'un malheureux et imprévisible accident, comme le prétend la défense?

Le «dominateur» a-t-il plutôt fait preuve de négligence criminelle en laissant la victime seule, ligotée, épuisée, mal hydratée et mal nourrie, comme le suggère la Couronne?

Maintenant que les avocats des deux parties ont fait leur plaidoirie, il revient au juge Claude Provost de trancher la question. Patrick Deschatelets, pompier de Montréal accusé d'homicide involontaire et de négligence criminelle ayant causé la mort de sa partenaire sexuelle, devrait connaître la réponse le 28 février - presque cinq ans jour pour jour après le drame.

Lucie (nom fictif) est morte pendue par le large et lourd collier de métal qu'elle portait lors d'une séance de sadomasochisme. Le malheureux événement est survenu le 23 février 2008, dans le sous-sol du domicile de Patrick Deschatelets, à Saint-Bruno-de-Montarville. Lucie était debout, les mains attachées derrière le dos, les chevilles liées à un écarteur; une chaîne accrochée au plafond retenait son collier. Lucie ne pouvait pratiquement pas se mouvoir. Elle aurait été laissée seule au moins une vingtaine de minutes en début de soirée, le samedi - le temps que M. Deschatelets aille acheter des pâtes à l'épicerie. À son retour, Lucie s'était affaissée et ne respirait plus. Il a tenté sans succès de la réanimer, avant d'appeler le 911.

Le couple avait entrepris la veille une séance de sadomasochisme de 48 heures, au cours de laquelle la femme de 39 ans devait «mériter son collier». Il s'agissait d'un bijou qui aurait démontré l'engagement de Lucie auprès de M. Deschatelets, qui jouait le rôle du «maître» dans leurs jeux. Le couple s'était rencontré quatre mois auparavant, lors d'une séance d'information sur le BDSM (bondage, discipline, domination, soumission, sadomasochisme).

Pas illégal

Lors des plaidoiries qui se sont tenues hier à Longueuil, la procureure de la Couronne, Me Marie-Claude Morin a fait valoir qu'il n'est pas «illégal de participer à une activité dangereuse». Elle a aussi admis que la négligence criminelle, «quelque part, est toujours accidentelle». Dans le cas qui nous occupe, la victime participait volontairement à la séance, mais, compte tenu de sa vulnérabilité, M. Deschatelets était responsable de sa sécurité. Une personne raisonnablement prudente n'aurait pas laissé Lucie seule, a-t-elle signalé. Que la victime soit morte par auto-érotisation, à la suite d'un malaise ou d'un faux mouvement importe peu, selon elle. La victime est morte parce que M. Deschatelets n'était pas là pour la sauver.

Selon Me Jean-Paul Perron, qui représente l'accusé, la mort de la victime résulte d'un «acte intermédiaire inattendu, sur lequel son client n'avait aucun contrôle». Lucie était consentante et en redemandait, selon Me Perron. En quittant le domicile pour aller acheter des pâtes, M. Deschatelets était «honnêtement et raisonnablement convaincu que le lien qui retenait la victime ne posait aucun risque pour la santé et la sécurité de cette dernière». Il lui a demandé si elle était bien; il a quitté les lieux dans un «esprit tout à fait relax, et le ciel lui est tombé sur la tête à son retour». Soit Lucie s'est étouffée accidentellement en faisant de l'auto-érotisme, soit elle est morte accidentellement tout court. «Il n'a pas attaché la victime de façon dangereuse», a soutenu Me Perron.

Pendant le procès, qui a duré deux semaines, un expert en sexologie et en psychologie a expliqué que le couple se livrait à un sadomasochisme de modéré à extrême. M. Deschatelets était manifestement plus expérimenté que la victime dans le domaine. L'expert a aussi signalé qu'il existe des règles de base en matière de BDSM et que la littérature est contre le fait de laisser une personne seule dans un état précaire. Dans les heures qui ont précédé sa mort, la victime a décrit dans une longue lettre ce que M. Deschatelets lui faisait subir et les sensations que cela lui procurait. Elle était partagée entre la souffrance et le plaisir, la haine et l'admiration, l'asservissement et un désir de révolte.

Photo fournie par la Cour

Un lourd collier de métal (à droite) était attaché autour du cou de la victime. Celle-ci devait «mériter» un bijou au terme de la séance, qui devait durer 48 heures.