La CSST rend un entrepreneur de Lachine responsable de la mort d'un de ses employés, enseveli dans une tranchée creusée de la pire des façons et non sécurisée.

Le 3 avril, Gilles Lévesque, employé de Sylvain Fournier, propriétaire de S. Fournier excavation, se trouvait dans la partie la plus profonde d'une tranchée qui atteignait 2,6 mètres de profondeur. Son patron y était aussi, dans une partie moins profonde.

C'était sur la 54e avenue dans le secteur Lachine. Ils travaillaient depuis le matin même pour corriger le problème de drain d'égout d'une résidence privée. Leur tranchée, elle allait du terrain de la maison, jusqu'au milieu de la rue.

Soudain, à 11h45, une partie de la tranchée s'est effondrée. M. Lévesque, âgé dans la cinquantaine, a été complètement enseveli. Sylvain Fournier a aussi été enseveli, mais partiellement, sous la terre, des blocs d'asphalte et de béton. Le haut de son corps est demeuré à l'air libre toutefois, et il a pu utiliser son téléphone cellulaire. Mais pas pour composer le 911.

Il a appelé ses deux frères et collègues, d'abord. Puis sa conjointe. Et celle-ci, finalement, a composé le 911 à 12h05, révèle le rapport rendu public ce mercredi par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST).

Quand les pompiers sont arrivés sur les lieux, ils ont aperçu un des frères de M. Fournier qui tentait de le libérer à l'aide d'une pelle mécanique. Les secouristes lui ont intimé l'ordre de cesser, la tranchée n'étant pas sécurisée. Une décision qui avait choqué les collègues de travail des victimes, qui estimaient que c'était la méthode la plus rapide pour libérer les blessés.

Les sapeurs ont d'abord étançonné la tranchée, c'est-à-dire qu'ils ont érigé une cage de sécurité pour empêcher un autre affaissement des parois, puis ils ont pu sortir Sylvain Fournier du trou, blessé. Ce n'est qu'à 16h45, après cinq heures passées sous terre, qu'ils ont pu sortir Gilles Lévesque, dont le décès a été constaté sur place. Un des employés de S. Fournier excavation avait alors affirmé à La Presse qu'ils s'affairaient justement à sécuriser la tranchée au moment du drame.

Faux, selon les inspecteurs de la CSST qui ont enquêté.

Selon Jean-Pierre Chevrier, chef d'équipe et inspecteur à la CSST, la tranchée a été conçue de la pire des façons.

«Il y avait absence d'étançonnement. Toute excavation doit être étançonnée. Souvent, on utilise des boîtes de tranchées, mais là il n'y avait rien. Ensuite, le dépôt du déblai de terre avait été fait juste au dessus de la paroi de la tranchée. Il doit pourtant y avoir une distance minimale a respecter de1,2 mètre pour tout déblai ou autre objet. Et aucune circulation ne doit se faire à moins de trois mètres. Même s'il y a étançonnement, on doit respecter ces distances», a expliqué l'inspecteur.

Qui plus est, ajoute son collègue Hassan Zarmoune, la paroi de la tranchée était presque verticale, plutôt qu'en pente, ce qui en aurait amélioré sa solidité.

«La combinaison de la pente trop abrupte associée à la mise en place du déblai au sommet de la paroi a causé l'affaissement», conclut-il.

Sans nommer son nom, M. Chevrier n'a pas été tendre avec Sylvain Fournier.

«L'employeur n'a prévu aucune méthode de creusage. Avant de creuser, on planifie. Il faut connaître les caractéristiques du sol. Il faut s'assurer que tout est bien installé et faire le suivi. Dans le cas de cette entreprise, il y avait absence de programme de prévention. L'employeur à l' obligation de fournir des programmes de prévention pour identifier les dangers et risques propres au travail à effectuer, des méthodes pour éliminer danger, et mettre en place des mesures de contrôle. L'employeur ne s'est pas assuré que son travailleur avait suivi son cours de santé et sécurité au travail et avait la formation suffisante pour ces travaux», a poursuivi Jean-Pierre Chevrier.

«L'employeur était sur place, il savait, il aurait pu agir, mais il ne l'a pas fait», termine-t-il.

D'ailleurs, Sylvain Fournier savait qu'il avait l'obligation, sauf dans quelques cas exceptionnels prévus par le Code de sécurité pour les travaux de construction, d'étançonner sa tranchée lorsque celle-ci atteint 1,2 mètre de profondeur. En 2007 il avait échappé à une accusation d'avoir, encore une fois, omis d'étançonner une tranchée. Il n'y avait pas eu affaissement, mais un inspecteur de la CSST avait visité son chantier et avait remarqué une tranchée non sécurisée d'environ 1,2 mètre.

Mais Sylvain Fournier avait affirmé devant un juge de la Cour du Québec «que lorsque la tranchée est d'une profondeur de l.2 mètre, il arrête le chantier. Au moment de la visite de l'inspecteur, il était parti louer le matériel d'étançonnement». Il avait fourni une preuve de sa location. Cependant, son employé avait visiblement continué à creuser pendant l'absence de son patron. Mais M. Fournier avait été acquitté.

La CSST recommandera à un juge de la Cour du Québec l'imposition d'une amende de 15 420 $ à 61 680 $ contre S. Fournier excavation, s'il s'agit d'une première offense. L'entreprise n'a pu être jointe par La Presse, personne n'y répondant au téléphone et la boîte vocale étant pleine.

Un proche de M. Lévesque questionné par La Presse a déploré cette négligence de l'employeur, mais déclaré ne pas être surpris. Le défunt, qui travaillait depuis sept ans pour Fournier aurait déjà confié être préoccupé par la sécurité sur ses chantiers, et avoir vainement tenté de sensibiliser son employeur. M. Lévesque s'était selon cette personne inscrit à un cours de santé et sécurité au travail au moment du drame et songeait à quitter.

«Je ne suis pas surpris, mais suis content que la vérité sorte», a dit cette personne au sujet du rapport de la CSST.