Le financement occulte des partis politiques provinciaux et municipaux par le milieu de la construction est l'un des enjeux majeurs de la commission Charbonneau. La Presse a recueilli le témoignage d'un ex-employé d'une importante firme de construction qui raconte comment son employeur l'a utilisé comme prête-nom au profit d'Union Montréal et de Vision Montréal. Pour la «démocratie», lui disait-on.

> En tableau: le chemin de l'argent

Notre source, que nous appellerons Laurent, travaille dans le milieu de la construction depuis plusieurs années. Il connaît bien ce secteur et ses rouages. Les stratagèmes qu'il décrit pour financer de façon occulte Union Montréal et Vision Montréal ont été utilisés dans les années 2000, en particulier en 2005, année électorale, par la firme qui l'employait à l'époque.

L'histoire de Laurent, qui habite à Montréal, débute lorsqu'un des cadres de la société lui demande s'il peut lui faire un chèque de 1000$, soit le maximum autorisé par la loi, sans plus de détails. Laurent, surpris, demande des explications. «Il m'a répondu: "Fais un chèque de 1000$ à l'ordre d'UCIM [le parti du maire, rebaptisé Union Montréal en 2007], et on va te rembourser en cash."»

Laurent fait le chèque, contre lequel il reçoit 1000$ en espèces, comme promis. Au cours de l'une des années suivantes, petit changement: le don doit être fait au nom de Vision Montréal, dirigé alors par Pierre Bourque.

«On donnait moins à Vision puisqu'il était dans l'opposition», ironise Laurent. En 2005, année des élections, autre don de 1000$ à Union Montréal mais, nouveauté, autant pour Vision Montréal! Comme les années précédentes, Laurent récupère son argent ainsi que les reçus officiels des partis pour bénéficier du crédit d'impôt, «l'avantage en échange de cette petite fraude».

Nous avons accepté de protéger l'identité de Laurent pour garantir sa sécurité et parce qu'il craint de perdre son emploi. Pour la même raison, nous tairons le nom de l'entreprise. Il faut préciser que celle-ci a fait l'objet d'une enquête de l'Unité anticollusion, comme Jacques Duchesneau l'a indiqué lors de son témoignage devant la commission Charbonneau. La GRC a aussi reconnu ses véhicules dans le stationnement du café Consenza, le QG de la mafia.

La Presse a examiné les rapports financiers des deux partis pour les années évoquées et a trouvé trace des dons de Laurent.

«On me vendait le bon côté de la chose, qu'il fallait bien les aider un peu parce que peu de gens souhaitent agir pour la démocratie.... Une fois, j'ai demandé à mon supérieur ce que cela apportait à notre entreprise de financer ces partis, surtout dans un système du plus bas soumissionnaire. Il m'a répondu que ça apportait une visibilité auprès du parti du maire... peu importe le maire.»

Une enveloppe marquée du logo de l'entreprise

Cette visibilité est facilitée puisque, au dire de Laurent, les chèques, au lieu d'être postés par chacun des donateurs, étaient rassemblés dans une enveloppe marquée du logo de l'entreprise. «Je n'ai jamais su ou vu ce qui se passait ensuite, et à qui ces chèques étaient transmis dans les partis.»

Laurent croit qu'il n'était pas le seul employé de son service à être sollicité, même si cela se faisait discrètement. Quoi qu'il en soit, les noms de plusieurs de ses collègues, la presque-totalité des employés (dont une secrétaire), qu'il a cités comme donateurs potentiels figurent dans les états financiers d'Union Montréal et de Vision Montréal, tous pour des dons de 1000$. Quand ce n'était pas 2000$ par an, soit 1000$ pour chaque parti. Exception cocasse, l'un des dirigeants de la firme n'a jamais donné plus de 500$ à chacun des partis.

«C'est absurde de constater que notre secrétaire, qui peine à gagner 30 000$ par an, donne 1000$», fait remarquer Laurent. Dans son témoignage, Lino Zambito a dit qu'il trouvait «illogique» de demander à sa secrétaire, qui gagnait 25 000$, de faire une grosse contribution politique... «Il fallait que ça se tienne», a-t-il dit.

Seulement dans l'environnement de travail immédiat de Laurent, le total de ces contributions aura avoisiné les 15 000$ pour le parti du maire Tremblay, moitié moins pour Vision Montréal.

Mal à l'aise

«Je n'avais pas de pression pour donner à ces partis, mais je me sentais de plus en plus mal à l'aise», poursuit Laurent conscient que son geste était illégal. Il n'a plus rien donné depuis. «Je n'en avais rien à foutre de Gérald Tremblay ou de Pierre Bourque. Je me disais aussi que, si un jour ça se savait, l'amende serait plus grosse que le remboursement d'impôt auquel j'avais droit.»

Désormais, Laurent, qui en a long à raconter aussi sur les combines entourant les soumissions et la collusion, songe à rencontrer les enquêteurs de la commission Charbonneau pour leur donner des pistes de travail, «histoire que la justice soit elle aussi démocratique».