Cela fait des années que Laval et son maire intéressent la police. Pour preuve, La Presse a appris qu'en 2002, bien avant la création de l'escouade Marteau, la Sûreté du Québec y avait lancé une vaste enquête sur des allégations de corruption et de collusion dans les marchés publics. Voici le récit de ce projet, baptisé Bitume, qui a fait long feu.

Selon nos sources, l'opération Bitume débute en 2002 après que la Sûreté du Québec eut reçu des documents par l'intermédiaire d'Info-crime, notamment des enregistrements. Les informations livrées semblent à première vue si prometteuses et sérieuses qu'une équipe de six enquêteurs de la section des crimes économiques est formée. Un genre d'escouade Marteau venait de naître avant l'heure.

L'enquête s'amorce et s'accélère avec le «recrutement» d'une source proche d'un important entrepreneur. Comme Lino Zambito aujourd'hui devant la commission Charbonneau, l'homme se montre très loquace sur le processus des soumissions truquées, les commissions versées, etc. Plusieurs rencontres ont lieu avec les enquêteurs. Gage de sérieux, il connaît à l'avance le résultat de certains appels d'offres. Sauf que les choses se gâtent lorsque la Sûreté du Québec veut lui attribuer un code de source. A-t-il eu peur? Toujours est-il que cet homme qui en savait beaucoup sur le système arrête sa collaboration. On dit même qu'il quitte le pays.

En parallèle, les enquêteurs poursuivent leur travail, mais leur tâche n'est pas facile. À l'époque, la lutte contre la collusion et la corruption ne fait pas les nouvelles et n'est pas la priorité. «Il y avait aussi beaucoup d'obstruction lorsque les enquêteurs allaient chercher de l'information, en particulier à l'hôtel de ville», se souvient une source très au fait du dossier.

Omerta à Laval

Plusieurs personnes d'intérêt et bien placées font l'objet de filature. Mais du sable s'est inséré dans l'engrenage. Le départ de la source, le manque de collaboration ici et là, et même «l'omerta», pour reprendre le mot employé par l'un de nos interlocuteurs, font en sorte que les enquêteurs ont eu du mal à monter leur dossier et à obtenir les preuves nécessaires à l'obtention des mandats d'écoute électronique dont ils ont besoin. «Voir deux personnes discuter ensemble lors d'une filature, ça ne suffit pas. Il faut entendre ce qu'elles racontent», résume l'une de nos sources.

Devant cette impasse, l'enquête Bitume a été mise en veilleuse au bout d'un an de travail, au grand regret des policiers.

L'amertume semble toujours palpable aujourd'hui à ce sujet, car cette enquête semblait prometteuse et aurait permis de démonter des stratagèmes dont il est question aujourd'hui à l'Unité permanente anticorruption (UPAC) et devant la commissaire France Charbonneau.

Seule consolation, les informations collectées n'ont pas été perdues. Elles ont été placées dans une base de données. Elles pourraient encore être utilisées ou l'ont déjà été.

Le pot aux roses a été partiellement rendu public en 2009, lorsque l'ex-ingénieur du ministère des Transports François Beaudry a révélé à Radio-Canada que plusieurs contrats de voirie totalisant près de 5 millions de dollars avaient été attribués en 2003 dans des conditions douteuses.

Selon ses affirmations, les résultats étaient arrangés avant l'ouverture officielle des enveloppes de soumission. Il avait lui-même obtenu d'avance les noms de 10 entreprises qui devaient présenter les soumissions les plus basses dans 10 appels d'offres publics.

Ses «prédictions» se sont révélées exactes dans 8 cas sur 10. Dans les deux cas restants, il y avait eu échange de contrats, a appris plus tard François Beaudry. Un rapport résumant ces faits a été transmis par la suite à la Sûreté du Québec, ce qui, ajouté à la collaboration de François Beaudry, a donné un bon coup de pouce au projet Bitume déjà en marche.