Une dispute de quelques milliers de dollars gêne sensiblement les services de radiologie de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, au détriment de patients gravement malades. Le procès qui a commencé mercredi implique la quasi-totalité des médecins en radiologie de l'hôpital, dont le Dr Gaétan Barrette.

Le litige oppose la Dre Marie-Josée Berthiaume et son conjoint, le Dr Gaétan Barrette, aux 12 autres médecins en radiologie diagnostique du département. Mme Berthiaume leur réclame 250 000$ pour harcèlement, dénigrement, humiliation et stress.

De leur côté, les 12 médecins se plaignent du comportement individualiste et dénigrant de la Dre Berthiaume, et lui réclament 170 000$. Dans leur requête, ils déplorent aussi l'attitude méprisante du Dr Barrette, qui contribuerait au pourrissement de l'ambiance de travail.

De part et d'autre, les invectives se sont multipliées au département depuis quatre ans: «gang de crisse, paresseuse, ma grande tabarnak, face d'emblème, va donc chier», tout y est passé. Un gestionnaire médical d'expérience, entendu hier, dit n'avoir jamais rien vu de tel. Des médecins ont fondu en larmes dans son bureau.

Selon un document des défendeurs, le procès de huit jours «privera plusieurs centaines de patients des services auxquels ils ont droit, en raison de l'impossibilité de l'hôpital d'offrir, durant cette période, un remplacement complet des services qui sont normalement assurés par les radiologistes [...]. Environ 200 investigations de mammographie, 200 imageries du thorax et la moitié des interventions abdominales et des biopsies, programmées depuis des mois, ont dû être annulées».

Hier, la douzaine de radiologistes poursuivis étaient présents au procès, de même que le Dr Barrette et la Dre Berthiaume, a pu constater La Presse. L'hôpital a recours à certains remplaçants pendant la période du procès, indique une source du département. Au moment de mettre sous presse, le porte-parole de l'hôpital n'avait pas rappelé.

Dans sa poursuite, la Dre Berthiaume affirme qu'elle subit du harcèlement de ses collègues depuis qu'elle a souligné certaines de leurs erreurs de lecture radiologique, au printemps 2009. Parmi les médecins ciblés se trouvent Stéphane Carignan et Robert Filion. La tension a progressivement grimpé dans les mois qui ont suivi, jusqu'au dépôt de la poursuite de Mme Berthiaume, en octobre 2009.

Les défendeurs, de leur côté, affirment plutôt que le climat de tension a débuté au département avec l'arrivée de la Dre Berthiaume, en 2004. Hier, le Dr Carignan a notamment affirmé que Mme Berthiaume avait eu un comportement non éthique en écrivant en caractères gras les présumées erreurs de lecture détectées dans l'un de ses rapports, accessible à plusieurs collègues.

Les défendeurs estiment que la poursuite de la Dre Berthiaume vise plutôt à récupérer de soi-disant heures supplémentaires de 230 000$ qu'elle a réclamées à ses associés et qu'ils ont refusées. Les radiologistes de l'hôpital, faut-il dire, sont regroupés dans une société, la SORAD, dans laquelle ils se partagent les revenus et les dépenses.

Mercredi, une partie du débat a porté sur la parution dans La Presse, en juin 2012, d'un reportage sur des allégations de nombreuses erreurs médicales qu'aurait commises le Dr Barrette dans l'interprétation de radiographies. Le dossier était alors confidentiel.

L'avocat de Mme Berthiaume, Me Jacques Jeansonne, a cherché à savoir si le Dr Carignan était la source de l'ex-journaliste André Noël (maintenant enquêteur à la commission Charbonneau). Le Dr Carignan a nié. Me Jeansonne lui a aussi demandé s'il savait qui était la source ou s'il s'était informé à ce sujet auprès de ses collègues. Le Dr Carignan a expliqué qu'il n'avait pas fait d'enquête. La Presse est poursuivie dans cette affaire.

Le Dr Carignan est à l'origine du dossier de plaintes contre le Dr Barrette, «en tant que responsable de l'acte médical du département de radiologie», a-t-il dit. Il a identifié près des deux tiers des erreurs, et ses collègues, l'autre tiers. Il affirme ne pas avoir spécifiquement passé en revue les rapports du Dr Barrette, mais plutôt avoir constaté les présumées erreurs lorsqu'il devait faire un suivi des mêmes patients, ultérieurement.

Une série de 33 erreurs présumées commises de 2007 à 2011 ont été soumises au comité de l'hôpital. Le comité a joint des experts à l'extérieur de l'hôpital pour en juger, dont un hors Québec, mais ces derniers ont refusé. Le dossier a été transféré au Collège des médecins. «Et depuis un an, j'ai découvert 30 autres erreurs», a dit M. Carignan.

La Dre Berthiaume et le Dr Barrette allèguent que cette enquête a pour but de leur nuire dans le cadre de la poursuite. Hier, Me Jeansonne a fait valoir que le Dr Barrette faisait la lecture de 10 000 cas par année. En juin, le Dr Barrette avait affirmé à La Presse qu'un taux d'erreurs de 3% est normal dans la profession, un taux qu'a critiqué le Dr Carignan.

En ce qui concerne la Dre Berthiaume, le médecin gestionnaire Pierre Bourgoin a dit qu'elle était une personne qui prônait l'excellence et qu'elle était fort appréciée des étudiants en stage. «Elle pratique l'excellence, mais sans compromis. Elle incite les gens autour à la même qualité», a-t-il dit. Le procès se poursuit demain.