Dans une rarissime intervention contre un pays ami, la Cour d'appel du Québec vient de bloquer l'extradition de l'ancien propriétaire d'une maison de retraite de Saint-Jérôme parce qu'elle craint qu'il soit victime du «harcèlement» des autorités françaises, qui l'accusent d'être un baron de la drogue en fuite.

Il s'agit d'un dur revers pour la police française, qui est aux trousses d'Abdelhakim Bouarfa depuis près de 20 ans.

Citoyen canadien et algérien, homme d'affaires et père de famille, le quinquagénaire a vécu pendant quelques années une vie tranquille dans les Laurentides. En 2004, il a fait sa marque comme propriétaire d'une résidence bien cotée de 40 logements pour personnes âgées semi-autonomes, rue Laviolette, à Saint-Jérôme.

En avril 2008, il a vendu la résidence pour 3,7 millions et s'est envolé vers l'Algérie. C'est là que tout a basculé. Trois jours plus tard, la police algérienne l'a arrêté et lui a annoncé que la France avait lancé contre lui un mandat d'arrêt international.

Deux trafiquants de drogue français devenus délateurs l'ont dénoncé en tant qu'ex-chef d'organisations criminelles spécialisées dans l'importation de haschisch, selon les documents judiciaires.

Le «clan Bouarfa»

L'un d'eux, condamné en 1993, affirme que M. Bouarfa l'a employé de 1988 à 1992 pour importer la drogue par bateau et par voiture jusqu'à Lyon. Le deuxième, arrêté avec une gigantesque cargaison de trois tonnes de haschisch, désigne aussi M. Bouarfa comme le commanditaire de l'opération. La police française affirme dans un document que ce dernier était «déjà très bien connu à Lyon pour organiser des importations de résine de cannabis en provenance du Maroc».

Il existait par ailleurs dans cette région un «clan Bouarfa» dont l'opulence avait fait les manchettes et dont plusieurs membres avaient été impliqués dans d'importantes affaires de drogue.

En vertu d'accords franco-algériens, M. Bouarfa a été jugé en Algérie pour les accusations les plus récentes. Il a été acquitté.

Mais la France n'était pas prête à abandonner la partie. Elle disait toujours détenir de solides preuves qui devaient permettre la condamnation de Bouarfa. Lorsqu'il est revenu au Canada, en 2010, il a été arrêté par la GRC à la demande des autorités françaises, qui ont demandé son extradition pour le juger à nouveau sur les mêmes accusations.

Son avocat, Me Alexandre Bergevin, s'y est opposé. «C'est un principe incontesté, partout dans le monde, qu'on ne peut pas être jugé deux fois pour le même crime», a-t-il déclaré hier à La Presse.

La Cour d'appel lui a donné raison. «La volonté des autorités françaises de juger le demandeur une nouvelle fois, et ce, en dépit du verdict d'acquittement rendu à leur demande par le tribunal algérien, pourrait bien constituer une forme de harcèlement», écrivent les trois juges du plus haut tribunal de la province, dans un jugement unanime rendu cette semaine.

La Cour annule donc l'arrêté d'extradition qui avait déjà été prononcé. Elle demande au ministre de la Justice du Canada d'exiger des garanties de la France. Si celle-ci s'engage à laisser l'accusé plaider son acquittement antérieur et présenter une défense d'abus de procédure, il serait toujours possible de l'extrader. Mais les magistrats notent dans leur jugement qu'il est «difficile d'imaginer» que Paris se pliera à de telles demandes.

M. Bouarfa restera détenu ici en attendant la réponse de la France.