Alors que Toronto cherche à endiguer la vague de violence qui a culminé la semaine dernière par un bain de sang dans le quartier Scarborough, un travailleur de rue venu du Québec encourage la population et les autorités à prendre exemple sur Montréal pour trouver une solution.

Jam Johnson, qui gère un programme de basketball pour les jeunes à risque à quelques pas des lieux de la tuerie de Scarborough, est arrivé de Montréal à l'aube des années 90. Il fuyait justement son ancienne vie de voyou à Notre-Dame-de-Grâce, où il avait vu plusieurs de ses amis tués ou emprisonnés.

Les gangs qu'il a connus dans sa jeunesse étaient encore plus redoutables que ceux de Toronto, assure-t-il. «Les gens ici croient que ce sont des durs... Qu'ils aillent faire un tour rue Walkley, à NDG, pour voir!», lance-t-il.

Mais selon lui, la violence est mieux contrôlée à Montréal parce que les communautés y sont tissées plus serré. «À Montréal, on avait un centre communautaire noir dans chaque quartier et il y a encore des leaders dans la communauté noire. Ici, où sont-ils? Si on avait de vrais leaders, on ne serait pas rendus là», prétend-il.

«Et justement, à Montréal, les gars peuvent parfois mettre une balle dans la tête de quelqu'un, mais ils n'arrosent pas partout [avec leurs armes] comme ici», poursuit-il.

Les tireurs qui «arrosent» des lieux publics de balles sont effectivement devenus la préoccupation de l'heure à Toronto. Le nombre de victimes atteintes par des tirs a augmenté de 57% comparativement à pareille date l'an dernier. En juin, cinq clients ont été blessés par une balle perdue lorsque deux hommes liés aux gangs ont été abattus en plein jour dans le centre commercial Eaton Centre. La semaine dernière, deux jeunes sans liens criminels ont été tués et une vingtaine de personnes blessées, lorsqu'une fusillade a éclaté à la fête de quartier de Scarborough.

L'une des jeunes victimes, Shyanne Charles, avait fréquenté le programme de basket de Jam Johnson. Le travailleur de rue croit comprendre pourquoi Toronto connaît une telle résurgence de violence, alors que la criminalité n'avait cessé de diminuer depuis 2005, baptisée «l'année du fusil» par les médias car elle avait été particulièrement sanglante.

«Le problème, c'est qu'en 2005, ils n'ont pas fait ce qu'il fallait pour éviter que ça se reproduise. Ils ont arrêté [tous les criminels], les ont envoyés en prison. Mais maintenant, les plus jeunes ont vieilli, personne ne s'est occupé d'eux et ils répètent la même chose», s'insurge-t-il.

Il n'est pas en bons termes avec la police de Toronto, qu'il accuse d'être toujours déconnectée des milieux défavorisés, malgré les efforts de ces dernières années.

La police de Montréal n'est pas parfaite non plus, concède-t-il. Sa réputation a déjà été occasionnellement écornée par des accusations de profilage racial. Mais elle pourrait être un bon exemple à suivre pour Toronto, selon Jam Johnson.

«La police sait ce qui se passe à Montréal. Ici? Ils ne savent rien! Et s'ils savent, ils laissent les choses se produire. À Montréal, on peut au moins parler aux policiers sans qu'ils nous vendent, ils savent garder l'information. Ici, personne ne parle à la police», prétend-il.

Policiers intégrés

Certains propos de Jam Johnson trouvent écho au Centre jeunesse de Montréal, où on se félicite de certains succès québécois. «C'est vrai que les confrontations spectaculaires publiques entre gangs de rue ont diminué significativement ici», affirme Pierre Cloutier, responsable du Programme de suivi intensif (PSI) pour jeunes liés aux gangs.

«Mon hypothèse est que nous le devons en grande partie aux policiers qui sont très intégrés dans la communauté, qui travaillent en étroite collaboration avec les travailleurs de rue. À Saint-Michel, ils ont vu grandir les jeunes. Ils sont capables de développer avec eux des pactes de non-agression», dit-il.

Son équipe suit certains des jeunes les plus à risque dans le milieu des gangs de rue. Ils sont rencontrés trois à quatre fois par semaine par un groupe de suivi incluant policiers, travailleurs de rue et représentants des centres jeunesse ou des services correctionnels. On les aide à trouver un emploi, à développer des loisirs positifs et surtout, à se réintégrer à leur communauté qui les a parfois rejetés en raison de leur comportement.

«Le but n'est pas seulement de faire diminuer le taux de récidive. C'est aussi important d'accroître leur intégration sociale», insiste M. Cloutier.

À Toronto, Jam Johnson fait d'ailleurs le tour des médias pour réclamer plus d'intégration pour les jeunes en difficultés. Pendant l'entrevue, les adolescents autour de lui s'entraînent à faire des paniers. Le travailleur de rue ne cesse de les pointer du doigt pour les prendre en exemple.

«Nous avons d'immenses poches de pauvreté, immenses. Ces jeunes peuvent passer deux ans à envoyer des CV sans obtenir d'emploi. L'immense majorité des jeunes qui meurent ici sont des Noirs, tués par d'autres Noirs. La haine de soi! Ils n'ont pas de job, ils sont en colère et leur colère se déverse sur leurs amis», laisse-t-il tomber, furieux.