L'ex-directeur des émissions d'affaires publiques de Radio-Canada, Pierre Sormany, ignorait qu'il était possible d'effacer un message envoyé sur le mur Facebook de quelqu'un. Ce n'est que quatre jours après avoir envoyé son brûlot au sujet de l'animateur Jean Lapierre qu'il l'a supprimé, le 30 septembre dernier.

C'est ce qui ressort du témoignage que M. Sormany a rendu, jeudi, au palais de justice de Montréal, dans le cadre du procès en diffamation que M. Lapierre lui tient. L'animateur et chroniqueur politique à TVA et à la radio du 98,5 réclame 350 000$ en dommages à M. Sormany, qui l'a associé faussement à Tony Accurso. Or, M. Lapierre n'avait pas de lien avec M. Accurso, hormis le fait que les deux hommes se croisaient occasionnellement au restaurant Milos, le midi. M. Lapierre avait aussi mangé avec M. Accurso à cet endroit, dans l'espoir de le convaincre de lui accorder une entrevue.

M. Sormany, patron de l'émission Enquête, était au courant que les deux hommes avaient mangé ensemble à quelques reprises. Jacques Duchesneau, chef de l'Unité anticollusion, les avait vus une fois.

Le déroulement selon M. Sormany

Le 25 septembre 2011, M. Duchesneau était un des invités de l'émission Tout le monde en parle. Il a dit, sans les nommer, que des journalistes l'avaient intimidé.

Le lundi soir, chez lui, M. Sormany est allé sur Facebook. Il a vu que la journaliste Lise Millette, de La Presse Canadienne, se demandait quels étaient les journalistes visés par M. Duchesneau. M. Sormany lui a répondu: «Je peux les préciser pour lui, si ça te tarabiscote... L'intermédiaire, c'est Jean Lapierre, ancien politicien et animateur choc de TVA et LCN, mais qui offre aussi ses services conseils en relations publiques et qui a parmi ses clients, nul autre que son "ami" l'entrepreneur Antonio Accurso. Rien d'illégal là-dedans, mais Duchesneau enquêtait de très près sur l'organisation du "Fabulous Fortheen"...»

M. Sormany dit avoir envoyé son message en croyant qu'il était privé. Ce n'est que le lendemain, en arrivant à la réunion de l'émission Enquête, qu'il a appris que son message était sur le mur de Lise Millette, et qu'il avait été diffusé sur Twitter.

«Tu t'es laissé aller sur Facebook. Ç'a été pas mal twitté», lui a dit la journaliste Marie-Maude Denis.

M. Sormany affirme avoir été catastrophé en apprenant cela. «Après la réunion, je suis entré dans mon bureau pour constater le désastre par moi-même», a-t-il raconté. Son message était effectivement sur le mur de Lise Millette. Il a consulté Twitter et n'a rien vu qui y faisait allusion, même en faisant des recherches avec des mots-clics. Il s'est dit: «Si je suis chanceux, c'est parti du radar, je n'aurai pas de conséquence.»

Une journaliste de La Presse, Michèle Ouimet, l'a appelé à ce sujet, et M. Sormany dit avoir signalé que c'était son erreur.

Cela le tourmentait quand même, et il a très peu dormi cette nuit-là. Mais le lendemain, il n'y a pas eu de suite, ni le surlendemain. Ce n'est que le vendredi, en fin d'après-midi, qu'il a eu des échos: un huissier lui a remis la poursuite de Jean Lapierre.

Démission

M. Sormany a rencontré son patron, Jean Pelletier, au même moment. Il a été suspendu de ses fonctions. M. Pelletier lui a demandé s'il était possible d'effacer son message. M. Sormany ne croyait pas qu'il pouvait le faire, mais a dit qu'il allait demander à Lise Millette de l'effacer. De retour chez lui, il a fait des essais et s'est rendu compte qu'il pouvait l'effacer lui-même. Le lendemain, il a convenu avec l'employeur qu'il prendrait sa retraite, car à ses yeux, son erreur était inacceptable. C'est ce qu'il a fait, il venait d'avoir 60 ans.

Me Jacques Jeansonne, qui représente M. Lapierre, a plaidé hier. Ce sera au tour de Me Julie Chenette, avocate de M. Sormany, de le faire ce matin. Ensuite, la juge Michel Yergeau prendra la cause en délibéré.