«Je sais que ce qui m'attend en Guinée, c'est la mort.»

La vie de Lamine Yansané, 40 ans, est suspendue à son renvoi vers la Guinée. Là-bas l'attend un imam qui ne lui pardonne pas sa conversion au catholicisme: son propre père. À Boké, El Hadj Aboubacar Yansané a lancé une fatwa contre son fils, qu'il veut punir de mort.

Depuis près de sept ans, Lamine Yansané se bat pour rester au Canada. Sa demande d'asile a été rejetée, tout comme ses demandes de résidence permanente pour motifs humanitaires et d'examen des risques avant renvoi (ERAR). En 2009, toutefois, la Cour fédérale a tranché en sa faveur: elle a annulé la décision de l'ERAR et reconnu qu'il risque sa vie s'il retourne en Guinée. Il a obtenu un sursis, puis présenté de nouvelles demandes de résidence permanente et d'ERAR. Au grand dam de son avocat, elles ont de nouveau été rejetées ce printemps. Il a fait appel, mais a appris le 7 juin l'imminence de son expulsion.

Depuis, c'était l'angoisse. Mais vendredi dernier, en fin de journée, coup de théâtre: les avocats du gouvernement fédéral ont informé l'avocat de M. Yansané, Me Stewart Istvanffy, que son renvoi prévu le 25 juin est suspendu.

«Ça nous donne de l'espoir, mais nous sommes toujours inquiets pour son avenir. Il est encore menacé, et je n'ai aucun engagement qu'il ne va pas être renvoyé en Guinée», a affirmé Me Istvanffy.

Fatwa

«Malgré le temps passé, mon père est toujours remonté contre moi», affirme Lamine Yansané.

Élevé dans une famille pieuse, auprès d'un père imam et professeur dans une école coranique, il a eu le malheur de se lier à une femme chrétienne, Mariam. Sa famille a consenti au mariage, mais seulement parce qu'il a promis de convertir sa femme à l'islam. Pendant près de 10 ans, le jeune couple a vécu près des parents de M. Yansané. Mais la conversion n'est pas venue, et le climat est devenu invivable.

En 2004, le couple et ses trois enfants se sont éloignés de la famille. M. Yansané s'est mis à fréquenter l'église. Son père l'a appris et lui a promis d'appliquer la charia.

«Il m'a dit que je suis un traître et que ceux qui abandonnent l'islam son punis de mort.»

Effrayé, il a trouvé refuge chez un parent de sa femme, mais a dû se résoudre à quitter le pays après que son père eut mis sa maison à sac, accompagné de cinq hommes fréquentant la mosquée. Le 16 octobre 2005, il est arrivé au Canada, où il a demandé l'asile. Le père a lancé une fatwa contre son fils.

Bataille

Mais Lamine Yansané n'a pas obtenu le statut de réfugié: les autorités estiment qu'il n'a pas démontré que sa vie serait en danger en Guinée. Il a tenté de contester cette décision, en vain. Tous ses autres recours se sont butés à des refus, notamment ses deux demandes d'ERAR.En 2009, la Cour fédérale lui a néanmoins accordé un sursis, puis a ordonné un nouvel examen des risques avant renvoi.

Cette fois, son dossier était étayé de nouveaux éléments, dont une lettre de l'archevêché de Conakry en sa faveur, et les déclarations de son père faites en 2008 à un journaliste du National Post. Il y affirmait que la vie de M. Yansané était en danger dans son pays d'origine.

«Sa vie est en danger s'il retourne en Guinée», a écrit le juge François Lemieux.

Malgré tout, sa nouvelle demande de résidence permanente et sa troisième demande d'ERAR ont été refusées ce printemps. Il souhaitait contester ces décisions, mais l'ASFC lui a appris son expulsion pour le 25 juin, avant que ces appels ne soient entendus.

«Les individus ayant des demandes pour motifs humanitaires en cours et pour une deuxième ou troisième demande d'ERAR ne bénéficient pas d'un sursis au renvoi. M. Yansané a eu droit à l'application régulière de la loi durant toutes les étapes de sa demande. La mesure de renvoi est exécutoire», a écrit jeudi à La Presse la porte-parole de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), Julie Lafortune.

Vendredi après-midi, Lamine Yansané a toutefois appris que son expulsion est suspendue, et qu'aucune autre date n'est fixée. La Presse a contacté hier CIC, l'ASFC et le cabinet du ministre de l'Immigration Jason Kenney pour en savoir plus sur cette volte-face soudaine, sans obtenir de réponse.

Foi

La femme de M. Yansané et leurs trois enfants vivent cachés en Guinée. Lamine Yansané, lui, espère toujours un miracle. Converti au catholicisme en 2007, il garde la foi, malgré les incertitudes qui planent autour de son avenir. «Je remets mes problèmes entre les mains de Jésus. Je lui demande de m'aider à trouver le chemin», dit-il.