Le jury chargé de décider du sort de l'ex-juge Jacques Delisle entamera ses délibérations ce matin et devra choisir entre trois options en lien avec la mort violente de sa femme, survenue dans leur condo de Sillery le 12 novembre 2009: coupable de meurtre prémédité, de meurtre non prémédité ou non coupable.

Pendant toute la journée de lundi, le juge Claude Gagnon a résumé la preuve et donné ses directives en droit aux quatre femmes et huit hommes du jury. Il a rappelé que c'est à la Couronne, représentée par Me Steve Magnan, de prouver le crime qu'elle allègue. La défense, elle, n'a rien à prouver et l'accusé n'est jamais obligé de témoigner.

Dans le cas précis du juge Delisle, les observateurs sont cependant restés surpris qu'il ne témoigne pas, d'autant plus que son avocat, Me Jacques Larochelle, avait annoncé qu'il le ferait. C'était même un des arguments lorsqu'il a demandé au juge Claude Gagnon de séparer les chefs d'accusation, afin que M. Delisle soit jugé à part pour l'accusation de possession d'une arme prohibée chargée, une accusation qui, maintenant, entraîne automatiquement une peine de prison de trois ans.

Quoi qu'il en soit, dans ce procès qui a commencé le 7 mai, deux théories s'affrontaient. En voici un résumé.

Un meurtre, selon la Couronne



> Le mobile

Quelle misère: à 74 ans, nouvellement retraité et en pleine forme, Jacques Delisle est obligé de s'occuper d'une femme handicapée, alors qu'une avenue plus réjouissante s'offre à lui en la personne d'une femme 20 ans plus jeune et en santé.

Certes, il y aurait toujours moyen de divorcer, mais il faudrait vivre avec le qu'en-dira-t-on et supporter le regard des autres. Et comment réagiraient les enfants, Jean et Élène? Et puis, divorcer signifie aussi diviser: le patrimoine de 3,4 millions fondrait de moitié, puisqu'il faudrait bien donner sa part à Marie-Nicole.

Ce serait tellement plus simple si Marie-Nicole mourait. De toute façon, elle n'a plus de qualité de vie.

Oui, mais il faudrait que cette mort ait l'air d'un suicide.

> Le passage à l'acte

Le matin du 12 novembre 2009, Marie-Nicole Rainville était assise ou étendue sur le canapé. Jacques Delisle s'est approché avec un pistolet de calibre 22, puis l'a posé sur la tempe gauche de sa femme. Réalisant ce qui va se produire, Mme Rainville a mis sa main sur l'arme pour essayer de l'enlever ou pour se protéger. Le coup est parti.

Jacques Delisle a ensuite maquillé la scène en suicide. Il a enlevé le chargeur de l'arme, et effacé les empreintes. Il a déposé les deux pièces de l'arme par terre, près du bras gauche de sa femme, qui pendait sur le côté du canapé.

Pour se donner un alibi, Jacques Delisle est allé chez Roset, épicerie fine située à 1,4 km de chez lui. Il a acheté deux petits contenants de salade, puis est revenu à la maison. M. Delisle a affirmé par la suite s'être absenté pendant une heure.

À son retour, il a fait semblant de découvrir la scène et a appelé le 911. «J'arrive à la maison, ma conjointe vient de s'enlever la vie, qu'est ce que je fais?», a-t-il demandé à la préposée.

Il a ensuite raconté que sa femme était paralysée du côté droit à la suite d'un AVC. Il a répété la même histoire aux policiers qui sont arrivés un peu plus tard, en précisant qu'il était juge retraité. Il a expliqué que l'arme lui avait été donnée il y a longtemps. Il a dit s'être querellé le matin avec sa femme et le regretter. Il a également parlé des difficultés d'être aidant naturel.

Le lendemain, il a rencontré sa maîtresse, Johanne Plamondon, qui a été sa secrétaire pendant 26 ans. Il lui a dit que sa femme s'était enlevé la vie et qu'il ne lui donnerait pas de nouvelles pendant un certain temps, puisqu'il y aurait une enquête.

Au cours des mois suivants, M. Delisle a proposé à Mme Plamondon de venir vivre avec lui. La femme hésitait, mais en juin, elle s'est décidée: elle a annoncé à son mari qu'elle le quittait et que M. Delisle allait «l'accueillir». Cela ne s'est pas réalisé, car M. Delisle a été arrêté le lendemain.

Un suicide, selon la défense

> Le mobile

Marie-Nicole Rainville n'en pouvait plus de vivre ainsi. Autrefois vive et active, elle en était réduite, à 71 ans, à l'état de dépendance. C'est son mari qui devait la laver, la coiffer, l'habiller, lui préparer à manger. Elle avait déjà affirmé qu'elle serait mieux morte. Elle est rentrée à la maison le 30 octobre 2009 après un séjour de quatre mois à l'hôpital en raison d'une fracture de la hanche. Cette nouvelle épreuve s'ajoutait à la paralysie de son côté droit, dont elle était affligée depuis avril 2007. Douze jours après son retour à la maison, le 12 novembre 2009, elle s'est enlevé la vie.

> Le passage à l'acte

Selon ce que Jacques Delisle a confié aux policiers, il s'est disputé avec sa femme le matin du drame. On ne sait pas à quel sujet, mais M. Delisle a signalé qu'il trouvait difficile de s'occuper d'une personne qui n'avait plus son autonomie. «Ça va-tu finir un jour, tout ça?», a-t-il lancé à son épouse, dans un sursaut d'impatience qu'il dit maintenant regretter.

Après la dispute, vers 9h30, il est sorti pour aller chez Roset. À son retour, à 10h30, il a déposé ses deux petits contenants de salade sur la table de l'entrée et a trouvé sa femme morte, étendue sur le canapé. Au bout de son bras gauche, il y avait, par terre, le pistolet de calibre 22 qui, habituellement, se trouvait dans un coffret sur la petite table où il venait de déposer ses achats.

Par souci de sécurité, M. Delisle a enlevé le chargeur de l'arme, et a déposé le pistolet et son chargeur au même endroit, par terre, avant d'appeler le 911.

Les policiers ont vu un homme éprouvé, dont la femme venait de s'enlever la vie, a relevé Me Jacques Larochelle. À l'hôpital, une tache noire dans la paume de la défunte a intrigué le technicien en scène de crime et donné une nouvelle direction à l'enquête.

«Je sais ce que vous pensez, mais je ne l'ai pas tuée», a lancé M. Delisle.

Comme il l'a répété au jury lors de ses plaidoiries, Me Larochelle affirme que la défense n'a rien à prouver et que c'est à la Couronne de faire la preuve de ce qu'elle allègue; que la défense n'a pas à démontrer que c'est un suicide, seulement que c'est peut-être un suicide.

Pour appuyer sa théorie selon laquelle Mme Rainville était suicidaire, la défense a fait témoigner des amis et des parents du couple. Au fait, tous les proches semblent être aux côtés de l'accusé.

Le mobile financier ne tient pas, selon la défense, car M. Delisle est un homme généreux de nature. Le mobile amoureux ne tient pas non plus, car sa liaison avec sa maîtresse est un simple amour de vieillesse qui se contente de bécotage le matin et le soir.