Des tueurs sont aux trousses d'un ancien témoin vedette de la Couronne dans une affaire de gangs de rue, selon la police. Les autorités refusent même de l'emmener au tribunal de l'immigration ce matin, de peur que quelqu'un en profite pour l'éliminer avant son départ définitif du Canada, le 21 mai.

Selon nos sources, les policiers de Montréal ont été informés récemment que la tête de Wilkerno Dragon, 27 ans, avait été mise à prix. Les enquêteurs ont en mémoire des cas de membres de gangs tués après avoir parlé à la police. Ils veulent éviter une répétition de ce scénario. Dragon était à l'époque un témoin important de la poursuite dans le procès des cinq jeunes hommes accusés du meurtre de Raymond Ellis, tué au bar Aria en 2005.

Ellis, qui n'avait rien à voir avec le milieu criminel, a été une victime innocente de la guerre des gangs. Selon la thèse de la Couronne, des membres des Bleus l'ont pris à tort pour un membre de leurs rivaux, les Rouges. Ils l'ont tabassé «à 50 contre 1» et l'ont poignardé à mort.

Wilkerno Dragon, qui avait assisté à la scène, est devenu le principal témoin de la Couronne. Il avait accepté de collaborer, bien qu'il ait lui-même été membre d'un gang à Montréal-Nord.

Incarcéré pour une affaire de vol avant le début du procès, il a reçu des menaces en prison. La Couronne soupçonne même qu'il aurait été acheté par les accusés, pour 15 000$.

Le témoin a changé de version plusieurs fois, s'est parjuré, puis a fini par être déclaré «témoin hostile». Les manoeuvres de la Couronne pour le piéger à ce sujet se sont soldées par un arrêt du processus judiciaire en 2009.

Les accusés John Tshiamala, Ernso Théobrun, Evens Belleville, Cleveland Alexander Scott et McClee Charles ont d'abord été libérés, puis arrêtés de nouveau lorsque la Cour d'appel a ordonné un nouveau procès, prévu en décembre prochain. Cette fois, Wilkerno Dragon n'est pas annoncé comme témoin.

Devenu un paria tant aux yeux des criminels que de la justice, Wilkerno Dragon a continué d'accumuler les condamnations: complot, vol qualifié, agression armée, séquestration, possession illégale de bons du Trésor.

Comme il n'est pas citoyen canadien, il a été condamné à l'expulsion du Canada. Les autorités canadiennes comptent le renvoyer le 21 mai vers son pays d'origine, Haïti. Même s'il vit au Canada depuis l'âge de 7 ans, Dragon accepte de partir. Il reconnaît ne plus être en sécurité à Montréal. Il demande toutefois qu'on l'envoie en République dominicaine, où il dit être né, plutôt qu'à Haïti.

Détenu à la prison de Rivière-des-Prairies en attendant son renvoi, Dragon devait comparaître à ce sujet aujourd'hui au tribunal de l'immigration, au complexe Guy-Favreau. Mais les nouvelles informations transmises par la police la semaine dernière ont changé la donne. Il ne peut plus être emmené au centre-ville, même escorté par la police.

Ce type d'audience est normalement public, mais le risque est trop élevé dans ce cas, selon le porte-parole. «Nous estimons avoir fait le maximum possible pour assurer la transparence», dit-il.