Véritable petit génie de l'informatique, Sébastien Massicotte-Lalumière a réussi, entre l'âge de 19 et de 22 ans, à frauder des clients d'à peu près toutes les institutions financières présentes au Québec, ainsi que plusieurs commerces. Différents stratagèmes lui auraient permis de mettre la main sur au moins 450 000$.

«Mais où est passé l'argent?», a demandé la juge qui a entendu la cause du jeune pirate informatique plus tôt ce mois-ci au palais de justice de Laval.

Le fraudeur, aujourd'hui âgé de 23 ans, jure que son compte bancaire est vide. Il refuse toutefois de collaborer avec la police. La Sûreté du Québec (SQ), qui a mené l'enquête, a été incapable de retrouver les sommes volées.

«On ne peut pas vous dire ce qu'il a fait avec l'argent. On ne le sait pas», a indiqué l'enquêteur Sylvain Girard de la SQ, pressé de questions par la juge Lise Gaboury. La police soupçonne le jeune pirate d'avoir dépensé beaucoup de cet argent en «payant la traite à ses chums» durant des fêtes et dans l'achat d'une BMW. Mais elle n'en a pas la preuve.

Film américain

«Si on était dans un film américain, l'argent serait dans un compte offshore», a souligné la juge. «Tout est possible. Même dans la réalité, ça pourrait arriver», a répondu l'enquêteur.

Le 12 avril dernier, l'accusé a reconnu avoir commis une série de fraudes, notamment en procédant à l'envoi massif de courriels qui imitaient les pages internet d'institutions financières, dont celle des caisses Desjardins. Il leur demandait de mettre à jour leurs renseignements personnels. Plusieurs ont mordu à l'hameçon.

Dans les ordinateurs du pirate, la police a trouvé environ 2 millions d'adresses de courriel et quelque 230 profils complets de clients. «Nos analystes n'en avaient jamais vu autant», a expliqué l'enquêteur de la SQ. Il y en avait peut-être davantage, puisque la SQ n'a pas été en mesure de décrypter le contenu d'un des ordinateurs.

Grâce aux données personnelles recueillies, l'accusé activait des cellulaires avec lesquels il prenait ensuite contact avec ses victimes pour obtenir des détails précis comme leur mot de passe. À certaines occasions, il s'est même fait passer pour un policier de la SQ.

Le jeune fraudeur avait plus d'un tour dans son sac. Il a effectué des changements d'adresse postale au nom de ses victimes pour ensuite s'y faire livrer de nouvelles cartes de crédit. Avec l'aide de complices, il ouvrait des comptes bancaires pour y transférer de l'argent.

Les institutions financières ont remboursé leurs clients floués d'une somme totalisant 452 509$. Elles ont aussi bloqué des transactions suspectes orchestrées par le jeune pirate d'une valeur de 700 000$.

Et ce n'est pas tout. Le pirate a aussi réussi à s'introduire dans le système informatique de certains commerces qui conservaient les données de cartes de crédit de leurs clients, dont les rôtisseries St-Hubert. Il se faisait passer pour un technicien informatique et installait un logiciel de piratage pour contrôler leur système à distance.

Selon l'enquêteur Sylvain Girard, c'est la première fois que la SQ réussit à mettre la main sur un pirate informatique à l'origine de fraudes de cette ampleur. L'accusé a peut-être empoché encore plus d'argent. L'enquêteur le soupçonne d'avoir vendu des cartes de crédit sur l'internet. «Combien ça se vend, une carte de crédit?», a demandé la juge. «Il faudrait demander à l'accusé. Personne ne parle dans ce dossier», a répliqué le policier.

Comme un jeu

Si le jeune pirate refuse de dire ce qu'il a fait de tout cet argent, il n'hésite pas à se plaindre de ses conditions de détention. Arrêté le 17 mai 2011, il estime que sa dernière année passée en prison lui a donné toute une leçon. «J'ai pris conscience que ce que je faisais était loin d'être un jeu», a-t-il témoigné.

Il a changé trois fois de centre correctionnel et a passé du temps en isolement. «Je ne suis pas accepté par les autres détenus, car ils disent que j'ai commis des crimes de fif sur un clavier», a-t-il dit. Il voudrait être libéré le plus vite possible pour terminer une formation collégiale en programmation informatique.

Sa mère, Francine Massicotte, croit que son fils a retenu la leçon. «Il y a un an, il n'avait pas pris conscience qu'il devait utiliser son talent naturel à bon escient», a-t-elle dit.

«C'est le crime de l'heure», a plaidé la procureure de la Couronne, Jocelyne Rancourt. La poursuite a suggéré une peine de trois ans de prison. De son côté, l'avocat de la défense, Clemente Monterosso, a suggéré une peine de 18 mois à laquelle il faudrait soustraire la détention préventive. L'année en prison doit compter pour une année et demie en raison des difficultés vécues, selon la défense. La juge Gaboury rendra sa sentence le 17 mai.