Les cloches des églises sonnaient à toute volée lorsque les navires câbliers sont entrés dans le port d'Halifax avec à leur bord une sinistre cargaison: les corps des passagers du Titanic dont le voyage sur l'océan Atlantique s'était terminé de manière tragique.

Alors que les simples boîtes en bois commençaient à s'empiler sur le quai, le désastre s'est déplacé de la haute mer à la ville portuaire et les autorités locales ont été contraintes de calmer la curiosité morbide du public.

«L'une des choses prêchées par les pères de la cité, exigées par la White Star Line et même abordées dans les sermons à l'église était la suivante: 'S'il vous plaît, ne transformez pas ça en cirque. Vous n'êtes pas obligés de venir voir les corps être déchargés des bateaux»', raconte Garry Shutlak, archiviste principal aux archives de la Nouvelle-Écosse.

C'était quelques jours après le naufrage du magnifique paquebot le 15 avril 1912. Le plus important transatlantique de l'époque avait heurté un iceberg durant une nuit calme et sans lune avant de s'enfoncer dans l'océan au sud des Grands bancs.

Des navires câbliers ont été envoyés depuis Halifax après la tragédie afin de récupérer les cadavres dans les eaux glacées lorsqu'il a été établi que les seules personnes qui avaient survécu étaient celles qui avaient réussi à embarquer dans un canot de sauvetage.

Les équipages du Minia et du Mackay-Bennett savaient comment naviguer dans les eaux périlleuses de l'Atlantique Nord. Les bateaux étaient aussi tout désignés pour cette tâche puisque leur capacité de stockage était largement suffisante pour accueillir tous les morts.

Halifax était considéré comme l'endroit idéal pour recevoir les victimes en raison de ses connections ferroviaires et maritimes avec les autres villes qui faciliteraient le retour des dépouilles aux familles qui pouvaient se permettre de les rapatrier.

Alan Ruffman, un spécialiste local du Titanic, affirme qu'Halifax était aussi un formidable centre de communication, la ville ayant appris qu'un naufrage avait eu lieu quelques heures à peine après le désastre.

«Nous savions qu'une terrible catastrophe s'était produite au large», explique M. Ruffman, auteur du livre «Titanic Remembered: The Unsinkable Ship and Halifax».

«La White Star Line savait qu'elle avait un problème de relations publiques sur les bras parce que, le jour même de la tragédie, le 15 avril, des marins locaux avaient vu des corps portant des ceintures de sauvetage flotter dans l'océan.»

Le temps que les navires câbliers reviennent au port, Halifax était en deuil. Les drapeaux étaient en berne. Certaines fenêtres étaient drapées de crêpe noire. Les journaux locaux annonçaient que Hilda Slayter, une résidante de la ville, avait survécu alors que d'autres demandaient ce qu'il était advenu de George Wright, un philanthrope ayant acheté un billet de première classe pour le Titanic dont la dépouille n'a jamais été retrouvée.

Les cadavres des victimes ont été transportés au salon funéraire Snow et au club de curling Mayflower, qui a servi de morgue improvisée. Les policiers et les soldats ont monté la garde pour éloigner les curieux. La plupart des habitants ont respecté la consigne et sont restés à l'écart.

Les autorités comprenaient toutefois qu'elles devaient partager la nouvelle avec les reporters venus de Toronto, Montréal, Boston et New York qui s'étaient rendus à Halifax pour l'occasion. M. Shutlak indique que le commandant du port a permis aux journalistes de voir le quai où les cercueils étaient débarqués, mais en a interdit l'accès aux photographes. Ce qui explique pourquoi il existe si peu de clichés de l'époque.

«C'était par respect pour les familles. Il ne voulait pas que les gens prennent des photos de quelqu'un en train de s'évanouir», note l'archiviste.

Dans les semaines qui ont suivi la tragédie, les proches des passagers du Titanic ont afflué à Halifax dans l'espoir de trouver les corps des êtres aimés et de récupérer leurs effets personnels.

Il n'y a eu aucune cérémonie en mémoire des victimes, mais Alan Ruffman précise que plusieurs services funèbres individuels ont eu lieu, dont un pour un très jeune enfant repêché par l'équipage du Mackay-Bennett.

«Ce furent des funérailles très élaborées auxquelles assistèrent beaucoup de résidants d'Halifax et les familles qui n'avaient pas encore retrouvé les dépouilles de leurs proches», indique-t-il.

Le bébé a été enterré au cimetière Fairview Lawn avec un monument funéraire payé par les marins du Mackay-Bennett où a été gravée l'inscription «À un enfant inconnu». Le petit a plus tard été identifié comme étant Sidney Leslie Goodwin, âgé de 19 mois, après de longs et difficiles tests génétiques.

Au total, les restes de 150 victimes ont été inhumés dans les trois cimetières d'Halifax. La White Star Line leur a offert de simples pierres tombales grises alors que des familles ont déboursé davantage pour donner à leurs chers disparus une tombe un peu plus sophistiquée.

Quelques semaines après le naufrage, il ne restait plus grand-chose à faire. Les corps avaient été enterrés. Les proches étaient repartis. Lentement, la vie à Halifax a repris son cours normal.

Un siècle plus tard, les souvenirs du Titanic sont encore présents dans certaines parties de la ville, même s'ils sont plus difficiles à trouver que les pierres qui ornent les tombes des victimes.

La maison du millionnaire George Wright existe toujours au sud d'Halifax alors qu'un immeuble du centre-ville porte encore son nom.

Le club de curling Mayflower a été détruit lors de l'explosion de 1917, mais a été reconstruit sur un autre site. L'endroit où s'élevait le salon funéraire Snow est maintenant occupé par un restaurant de fruits de mer.

Et l'église anglicane St. George's Round Church, où se sont déroulées les obsèques du jeune Sidney, est toujours en fonction sur la rue Brunswick.

«À bien des égards, cette histoire est la nôtre», soutient M. Ruffman. «Le Titanic a été construit à Belfast, il a coulé dans l'Atlantique et il a été enterré ici, à Halifax.»