Les circonstances entourant la mort d'Iqbal Ahmed, père de famille montréalais de 56 ans, font penser à un scénario de film absurde basé sur une série de malentendus.

La poursuite en a fait le résumé, hier, à l'ouverture du procès de l'adolescent de 17 ans soupçonné d'avoir tué M. Ahmed. L'adolescent, dont l'identité est frappée d'un interdit de publication, est accusé d'homicide involontaire.

Vers 23h, le 8 avril dernier, deux adolescentes cognent à la fenêtre de la chambre de la fille de M. Ahmed pour lui donner rendez-vous au dépanneur du coin dans le quartier de Verdun. Or, la jeune fille n'a pas le droit de sortir à cette heure tardive.

La femme de M. Ahmed surprend une partie de la conversation entre les adolescentes. Elle est alors convaincue que sa fille est sortie sans permission et demande à son mari de la rattraper, sans se rendre compte qu'elle n'a, en fait, pas quitté la maison.

M. Ahmed suit les adolescentes en pensant reconnaître sa fille. Croyant d'abord être suivies par un dangereux inconnu, les jeunes filles se mettent à courir. L'une des deux reconnaît finalement M. Ahmed.

Malgré cela, elles poursuivent leur course en hurlant. «On avait peur qu'il nous frappe et qu'il nous fasse du mal», a dit cette adolescente de 16 ans, hier.

Les adolescentes, rendues près de la station de métro De L'Église, croisent trois garçons qu'elles connaissent. Les versions divergent sur ce qu'elles leur ont dit. L'accusé est convaincu que les jeunes filles ont affirmé qu'un «fucking pedo» les suivait.

L'adolescente qui a témoigné, hier, nie avoir traité de pédophile le père de son amie. Elle leur a uniquement dit qu'un homme leur «courait après», a-t-elle assuré.

Contre-interrogée par la défense, l'adolescente a toutefois été forcée d'admettre qu'elle n'avait jamais précisé aux garçons que son poursuivant était le père de son amie.

Les jeunes hommes ont vite rattrapé le père de famille, qui avait commencé à rebrousser chemin pour rentrer chez lui.

L'accusé l'a d'abord poussé à la poitrine, a raconté l'adolescente de 16 ans. Un autre garçon - accusé celui-ci devant un tribunal pour adultes - lui a ensuite donné un coup de poing au visage. M. Ahmed est tombé et sa tête a heurté violemment le sol.

Les jeunes - dont les deux adolescentes - ont pris la fuite avant l'arrivée des secours. «Pourquoi n'êtes-vous pas allées voir le père de votre amie [qui gisait par terre]?», a demandé le procureur de la poursuite, Me Jean-Sébastien Bussières, à la jeune fille de 16 ans. «On n'était pas certaines s'il allait se relever. On était paniquées», a-t-elle répondu.

Au lendemain du drame, l'adolescente a clavardé avec la fille de la victime en utilisant un humour douteux. «On criait comme si on allait se faire violer», lui a-t-elle décrit en ajoutant des sourires à la fin de ses phrases.

Hier, l'adolescente semblait trouver cela moins drôle. «Je n'ai jamais pensé qu'ils [les garçons] allaient courir après lui et le frapper. Avoir su, je ne serais jamais allée les voir», a-t-elle lancé au juge.

Le père de famille a sombré dans un coma duquel il ne s'est jamais réveillé. Il est mort six jours plus tard à l'hôpital.

L'adolescent est défendu par Mes Mathieu Longpré et Annie Laflamme. En liberté provisoire, l'accusé était assis, hier, dans la première rangée de la salle d'audience. L'une des quatre enfants de la victime était aussi présente. Le procès, qui se déroule devant le juge Normand Bastien au Tribunal de la jeunesse de Montréal, se poursuit aujourd'hui.