Un homme de 73 ans, à l'aise financièrement, est mort en février 2009 sans savoir qu'il était bigame. Depuis, les deux femmes de sa vie croisent le fer devant les tribunaux afin de déterminer laquelle des deux est légalement sa veuve.

La bigamie de monsieur étant due à une erreur de procédure, la juge Ginette Piché a disposé de l'épineux litige récemment, en coupant la poire en deux, ou presque. Elle a tranché que la première femme, âgée de 76 ans, est la seule conjointe survivante aux fins de la Loi sur le régime de rentes du Québec. La seconde femme est plus jeune. Puisqu'elle était de bonne foi quand elle a épousé l'homme en 2002, elle peut quant à elle bénéficier des «effets putatifs du mariage». Cela lui donne droit au partage du patrimoine familial pour la durée du mariage, sauf pour la partie accordée à la première femme en fonction de la Loi sur le régime de rentes du Québec.

S'estimant lésée, la deuxième femme pourrait porter ce jugement en appel. Au cours des derniers jours, elle a par ailleurs intenté deux poursuites, l'une contre le Procureur général du Québec et l'autre contre l'avocat qui s'est occupé du divorce de l'homme, Andrew Heft. Elle leur réclame chacun 390 000 $ pour la perte des pensions de monsieur, les dommages, des tracas et des frais judiciaires. Joint par La Presse, Me Heft a indiqué qu'il ne pouvait pas faire de commentaires.

Pas de divorce irrévocable

Tous ces problèmes découlent d'une erreur: le divorce irrévocable, une étape qu'il fallait franchir avant les changements apportés à la loi sur le divorce en 1986, aurait été escamoté.

Celui que nous appellerons monsieur B. a épousé sa première femme en 1961. Ils ont eu trois enfants. En 1984, madame a demandé le divorce et le couple s'est séparé. Le processus a traîné en longueur, si bien que ce n'est qu'en 2001 que le divorce a été prononcé.

L'année suivante, se croyant légalement divorcé, monsieur B. a épousé la femme qu'il fréquentait depuis 1995. Même si le couple s'affichait ouvertement, son mariage, lui, a été gardé secret, du moins aux yeux des trois enfants de monsieur, et sans doute de la première femme. Ce n'est qu'après la mort de monsieur, en février 2009, au moment de la lecture du testament, que ce second mariage a été mis au jour. Mais il y a eu une surprise des deux côtés.

La première femme, qui recevait depuis la séparation une pension alimentaire (environ 2500$ par mois), a vu la source se tarir au moment de la mort de monsieur B. Elle s'est alors adressée à la Cour supérieure pour obtenir l'annulation du certificat de divorce, au motif que le divorce irrévocable n'avait jamais été prononcé.

De fait, comme le processus de divorce avait été lancé en 1984, ce sont les règles de l'époque qui s'appliquaient: on franchissait un premier pas en obtenant un jugement de divorce. Mais celui-ci était considéré comme conditionnel. Il fallait attendre au moins trois mois et réclamer ensuite le «divorce irrévocable». Pour une raison qui reste à éclaircir, et qui fait l'objet des deux poursuites de la seconde femme, cette étape n'aurait pas été franchie. Pour brouiller un peu plus le tableau, un certificat de divorce aurait bel et bien été inscrit au plumitif pendant un temps, au début de 2002, mais a mystérieusement été effacé.

L'affrontement

Dans le cadre de la lutte judiciaire, la seconde femme s'est dite persuadée que la première femme était au courant de la situation et qu'elle n'avait rien fait pour la corriger avant la mort de monsieur B., dans le but d'avoir plus d'argent. La première femme a nié ces allégations et assuré qu'elle ne s'était jamais considérée comme divorcée, puisque le divorce irrévocable n'avait jamais été prononcé. Son mari et elle s'étaient séparés deux fois avant de passer en cour, a-t-elle fait valoir.

La première femme, de son côté, de même que l'un de ses enfants ont tracé un portrait peu flatteur de la seconde femme. Ils ont fait ressortir sa froideur envers les enfants de monsieur, ainsi que son manque de compassion et de générosité. Alors que monsieur était gravement malade à l'hôpital, elle s'était autorisé un voyage dans le Sud avec sa fille.

La juge a estimé que le comportement parfois «difficile à comprendre» de la deuxième femme et son manque d'empathie n'étaient pas une indication de mauvaise foi lors de son mariage avec monsieur.