Un officier retraité de la Sûreté du Québec, Gervais Ouellet, commercialise au prix fort un logiciel d'enquête qu'un collègue, désormais son partenaire d'affaires, et lui avaient mis au point pour la SQ durant leurs heures de travail, a appris La Presse. Ouellet et son partenaire ont vendu le logiciel à divers organismes et corps policiers, y compris leur ex-employeur.

Selon nos sources, cette situation crée un malaise à la SQ. En effet, à qui appartient ce logiciel?

Ce logiciel est une version évoluée de celle développée par la SQ pour répondre à nos besoins», dit le lieutenant Guy Lapointe, des enquêtes criminelles.

L'idée vient de la SQ, je ne peux pas le contredire. Je l'ai prise et on en a fait quelque chose», concède du bout des lèvres l'ex-inspecteur Ouellet, qui était directeur adjoint du renseignement criminel. Fait à noter, M. Ouellet avait eu vent du fait que La Presse s'intéressait à lui.

Le logiciel en question peut, à partir d'une adresse de courriel, par exemple, parcourir près de 800 bases de données publiques dans le monde - blogues, réseaux sociaux ou sites internet - pour en extraire tous les renseignements imaginables sur une personne donnée, et ce, en 30 secondes. Au Québec, la recherche puise dans des sites aussi variés que le Registre des entreprises et LesPac.com.

Ce logiciel s'appelle LazyChamp et est en attente de brevet. Les entreprises E-Profile et Vorepass, propriétés respectives de Gervais Ouellet et de Jérôme Bail, le vendent au prix de 7000$. Gervais Ouellet, qui a pris sa retraite de la SQ en 2009, a fondé E-Profile en 2005.

C'est Jérôme Bail qui a mis au point ce qu'il définit comme «l'embryon» de ce logiciel, au cours de l'été 2006, alors qu'il était en stage à 10$ de l'heure à la Sûreté du Québec. Il affirme que l'embryon originel, baptisé alors LARRI, souffrait de plusieurs tares et était peu utilisé.

Potentiel commercial

Imperfections ou pas, Gervais Ouellet, qui était alors le grand patron de Jérôme Bail, a vu le potentiel commercial de cette solution informatique destinée à faire gagner du temps aux enquêteurs.

L'ex-officier soutient avoir rencontré ses supérieurs lors de son départ à la retraite pour les informer de ses projets d'affaires avec LARRI. Mais pour «être certain de ne pas avoir de trouble ni de problème éthique ultérieurement», il aurait proposé à la SQ de s'associer avec lui et de partager les profits. «Mais c'était trop compliqué pour eux», précise M. Ouellet. «La SQ n'a pas démontré beaucoup d'intérêt», ajoute Jérôme Bail.

La SQ n'a pas commenté ces affirmations.

Le jeune entrepreneur s'est quand même mis à l'ouvrage: «J'ai travaillé fort, jusqu'à 80 heures par semaine, sans être payé, pour développer LazyChamp. La première année de commercialisation, je n'ai gagné que 14 000$.»

À ce jour, Jérôme Bail et Gervais Ouellet auraient vendu une cinquantaine de licences, notamment à la police de Montréal (renseignement et crimes technologiques), à la RAMQ, à l'Autorité des marchés financiers.

Quant à leur ancien employeur, il aurait déjà acquis quatre licences destinées à plusieurs services, dont la Direction de la protection de l'État. La direction des enquêtes criminelles serait quant à elle toujours en réflexion quant à la pertinence d'en faire l'acquisition, d'une part parce que LazyChamp est en concurrence avec un autre logiciel et, d'autre part, à cause du dilemme éthique entourant la genèse de LazyChamp. Gervais Ouellet aurait proposé deux licences gratuites à titre de compensation.

Faille contractuelle corrigée

Mais pourquoi la SQ en est-elle réduite à payer pour obtenir la version évoluée d'un logiciel imaginé et créé à sa demande par un de ses employés? Et pourquoi ne s'oppose-t-elle pas à sa commercialisation si elle en revendique la paternité?

Notre contentieux a vérifié dans le contrat de Jérôme Bail, mais on n'a aucune assise légale, explique le lieutenant Guy Lapointe. C'était la première fois qu'on embauchait quelqu'un à l'externe. Mais nos contrats ont été verrouillés depuis afin de mieux protéger notre propriété intellectuelle. Pareille situation ne pourrait plus se reproduire.»

Gervais Ouellet et Jérôme Bail, quant à eux, sont sûrs de leur bon droit: «Une idée, c'est une chose, mais la réaliser concrètement, c'en est une autre», dit Jérôme Bail. L'un et l'autre croient qu'ils sont victimes de «jalousie». Ils visent en particulier un ex-collègue qui aurait été frustré de ne pas pouvoir participer à l'affaire.

Gervais Ouellet est aussi coordonnateur du certificat en cybercriminalité à l'École polytechnique. Ceux qui l'ont côtoyé le décrivent comme un policier émérite et un as dans son domaine.

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