L'affaire Ian Davidson est au moins aussi grave que l'affaire Marchessault, qui concernait un cadre de la police de Montréal qui avait volé des stupéfiants il y a une trentaine d'années, affirme Jacques Duchesneau, ex-chef du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

M. Duchesneau a déjà été le patron de Davidson, le policier à la retraite soupçonné d'avoir tenté de vendre une liste d'informateurs à la mafia et qui s'est suicidé mercredi dans une chambre d'hôtel de Laval.

Henri Marchessault, lui, était chef de l'escouade des stupéfiants à la police de Montréal. Une caméra de surveillance l'avait filmé pendant qu'il volait de la drogue dans la chambre forte de l'escouade. Jacques Duchesneau était alors sergent-détective et c'est lui qui l'avait arrêté.

«L'affaire Davidson provoque une nouvelle crise de confiance», a dit M. Duchesneau, interviewé hier à l'École nationale d'administration publique (ENAP), où il donnait une conférence sur l'éthique et la collusion dans l'industrie de la construction.

«On ne peut faire autrement que de faire une analogie avec l'affaire Marchessault, qui avait elle aussi terni l'image de la police. Celle-ci avait eu beaucoup de difficulté à s'en sortir. Marchessault avait volé des stupéfiants pour faire de l'argent... C'est moi qui l'avais arrêté. Il avait écopé de 14 ans de prison. Mais donner la liste des personnes qui ont collaboré avec la police, c'est un ascenseur pour l'échafaud... C'est énorme.

«Maintenant, les gens qui vont vouloir collaborer avec la police, on va leur dire: pas de problème, on vous donne un numéro (d'informateur), personne ne va connaître votre nom. Mais les gens vont-ils le croire?»

Les dangers d'une liste informatisée

M. Duchesneau ne comprend pas pourquoi des listes d'informateurs ont pu se trouver sur support informatique, et pourquoi le policier Ian Davidson pouvait y avoir accès en étant seul.

«Quand j'étais chef de police, j'ai travaillé avec des listes d'informateurs, mais elles étaient sur papier. Je ne comprends pas que ça ait été informatisé. Le danger, c'est d'être piraté et que ça circule. Les feuilles comprenant les noms d'informateur étaient sous scellés, dans mon bureau. Je ne pouvais pas ouvrir les scellés sans la présence d'un témoin, en l'occurrence le commandant du renseignement.»

Jacques Bergeron, vérificateur général de la Ville de Montréal, participait lui aussi au séminaire à l'ENAP, hier. Il a approuvé les commentaires de M. Duchesneau. «Dans le passé, j'ai déjà travaillé pour une firme de consultants qui avait eu le mandat de vérifier la sécurité dans un organisme gouvernemental, et notamment la confidentialité d'une liste de repentis. Cette liste se trouvait dans un coffre-fort, lequel se trouvait dans une salle comprenant deux serrures, au 6e étage d'un édifice. Le coffre-fort lui-même avait deux combinaisons, et il fallait deux personnes pour l'ouvrir, chacune possédant seulement une combinaison.»

M. Bergeron a le mandat de vérifier les bonnes pratiques non seulement à la Ville, mais aussi au SPVM. Il y a deux ans, il a enquêté sur les contrats accordés par le chef du SPVM, Yvan Delorme, à la firme BCIA. Aujourd'hui, il se dit «préoccupé» par le bris de confidentialité soulevé par l'affaire Davidson. Mais il refuse de dire s'il va enquêter à ce sujet: il n'annonce pas ses enquêtes.

Enfin, M. Duchesneau souligne que la police devrait rester à l'affût des petits «manquements» dans le comportement de ses membres. C'est ce que font, entre autres, les 600 agents affectés aux affaires internes à la police de New York, dit-il. Souvent, de très bons policiers - et Davidson en était un, selon lui - éprouvent des difficultés qui les amènent à faire des bêtises.

«Selon des informations, Davidson a réhypothéqué sa maison pour un montant important, l'année dernière. Avait-il des problèmes d'argent? demande-t-il. La police doit mettre en place des mécanismes pour surveiller ces signaux d'alarme et agir à temps. Cette crise est tragique, mais pas insurmontable. Le SPVM va en tirer des leçons et en sortir plus fort.»