Nouveau rebondissement dans l'affaire Léon Mugesera, accusé par le Rwanda d'avoir prononcé un discours d'incitation au génocide. Le Rwandais, qui devait être expulsé aujourd'hui vers son pays d'origine, vient d'obtenir un autre sursis. Le Comité contre la torture de l'Office des Nations unies à Genève (ONUG) a accepté mercredi d'entendre sa plainte contre le Canada, ce qui devrait suspendre le processus de renvoi pour au moins quelques mois, a déclaré son avocate, Me Johanne Doyon.

En matinée, mercredi, la Cour fédérale a rejeté la demande de sursis de M. Mugesera, son dernier recours possible devant une instance juridique canadienne. Visiblement ébranlé par la nouvelle, il a eu un malaise et a été transporté en ambulance au CHUL, à Québec, en début d'après-midi.

Tous les recours au Canada étant épuisés, Me Doyon s'est tournée vers le Comité contre la torture de l'ONUG. Elle a eu mercredi la confirmation que sa demande serait entendue. Le Comité a prié le Canada de ne pas renvoyer M. Mugesera tant que la requête sera à l'examen. Selon Me Doyon, le Canada respecte généralement ce genre de demande.

Crime contre l'humanité

Pour l'instant, l'Agence des services frontaliers n'a pas dit si elle procéderait à l'expulsion et n'a pas rappelé La Presse.

Léon Mugesera est arrivé au Canada en 1993 comme réfugié. Il est interdit de territoire depuis 1996. Depuis, il multiplie les recours pour éviter son extradition.

En juin 2005, la Cour suprême du Canada a conclu qu'il n'était pas admissible au Canada parce qu'il avait prononcé, en novembre 1992, un discours appelant à l'extermination des Tutsis alors qu'il était vice-président du Mouvement républicain national pour le développement et la démocratie (MRND).

Le plus haut tribunal canadien considère qu'il a incité au meurtre, à la haine et au génocide et qu'il a commis un crime contre l'humanité. M. Mugesera a ensuite demandé un examen des risques avant renvoi, qui s'est soldé, en décembre dernier, par la confirmation de son renvoi, prévu le 12 janvier.

Le 4 janvier, il a demandé la suspension du processus au motif qu'il risquait la torture et la mort s'il retournait dans son pays natal. L'affaire a été entendue lundi en Cour fédérale.

Justice améliorée

«Le demandeur n'a pas démontré qu'il ne pourrait pas bénéficier d'un procès juste et équitable s'il retournait au Rwanda. Depuis la fin du génocide de 1994 et plus particulièrement au cours des dernières années, le gouvernement rwandais a fait des progrès significatifs afin de permettre aux gens accusés d'avoir participé au génocide d'être jugés impartialement», écrit le juge Michel M. J. Shore dans sa décision.

Le juge Shore a rappelé que la peine de mort avait été abolie en 2007 au Rwanda et que le gouvernement s'était engagé à traduire Léon Mugesera devant la Haute Cour, et non devant un gaca, un tribunal populaire.

Frank Chalk, professeur d'histoire et directeur de l'Institut montréalais sur les génocides et les droits de la personne de l'Université Concordia, affirme que la décision du Comité d'étudier le dossier de Mugesera ne doit pas être considérée comme un revers pour le Canada et que l'affaire suit son cours «normal». «Puisqu'il s'agit d'un cas très médiatisé, les yeux du monde entier seront rivés sur son procès. Le risque qu'il subisse de la torture est extrêmement faible», affirme le spécialiste, qui a déjà visité des prisons au Rwanda.