Des documents internes montrent que les agissements de trois frères toujours vivants étaient connus de longue date. Mais la congrégation a longtemps cherché à protéger ses intérêts devant les demandes des victimes.

L'avocat des frères de Sainte-Croix, Émile Perrin, a ainsi été mandaté à plusieurs reprises pour indemniser des victimes des frères pédophiles. Ses rapports, rédigés sur plus d'une décennie, sont particulièrement éloquents.

Ainsi, en 1990, il s'inquiète auprès du supérieur provincial, Raymond Lamontagne, du comportement «grossièrement répugnant» d'un religieux, Yvan Sarrasin, qui travaille alors auprès de personnes handicapées.

Un an plus tard, dans une autre lettre, l'avocat décrit avec détails les agressions répétées que le frère Olivain Leblanc a commises sur la personne d'un ancien élève de Notre-Dame, Daniel, alors qu'il était en troisième et quatrième secondaire. En moins de deux ans, elles ont été répétées de 80 à 100 fois.

«Le frère Olivain Leblanc aurait déclaré que la grande majorité, sinon tous les religieux de Sainte-Croix étaient homosexuels, et qu'il n'y avait aucun dommage ni rien de répugnant à cette question», rapporte la lettre.

Le jeune homme, à qui la congrégation a versé 250 000$ en 1993, a été agressé par deux autres frères. L'un d'eux, selon la lettre, «se vantait à qui voulait bien l'entendre qu'il avait eu plusieurs expériences sexuelles avec les immigrants dont il s'occupait».

En 1998, Me Perrin doit de nouveau intervenir dans un autre cas d'agression par le frère Yvan Sarrasin, contre qui la congrégation n'a appliqué aucune sanction au fil des années. L'avocat s'adresse au successeur de M. Lamontagne. «Il semble qu'aucun de vos prédécesseurs n'ait jugé bon agir pour remédier à une situation qui est devenue, aujourd'hui, une moquerie de la vie religieuse. Si elle devait être laissée sans attention, elle deviendra de plus en plus une menace financière réelle.»

La même année, Me Perrin est mandaté pour «régler» le dossier d'un homme, Patrick, alors âgé de 46 ans, agressé 30 ans plus tôt par le frère Julien Hêtu. Le traumatisme de ces agressions lui est revenu en mémoire après qu'un religieux lui eut confié que le frère Hêtu «ne détestait pas avoir des relations sexuelles avec de jeunes Africains».

L'avocat relève lui-même que sa démarche n'a rien d'exceptionnel. «Je suis habitué de voir ces petits «maîtres-chanteurs» défilés [sic] et me conter des histoires abracadabrantes dont le but évident est un gain rapide et facile», écrit-il, avant de conclure à la sincérité de l'homme qu'il a rencontré. La congrégation lui versera finalement une indemnité.