Le règlement à l'amiable entre les victimes des sévices sexuels des frères de Sainte-Croix et la congrégation montréalaise a été présenté mercredi matin à la Cour supérieure. Mais l'audition a pris une tournure inattendue avec l'intervention du Fonds d'aide aux recours collectifs, qui s'oppose à une clause du règlement. Au grand dam des avocats des deux camps.

Au coeur du désaccord, la méthode de recouvrement des indemnités des victimes. L'entente prévoit un recouvrement individuel. Cette méthode de recouvrement est la condition sine qua non de l'entente; les deux parties le soulignent dans une clause. Or, le Fonds d'aide croit au contraire que le recouvrement devrait être collectif.

La nuance a son importance, dans le cas où le total des indemnités versées aux victimes n'atteint pas le plafond de 18 millions prévu par la congrégation de Sainte-Croix. Si le recouvrement est collectif, ce solde devra alors être versé en quasi-totalité au Fonds. Dans un recouvrement individuel, ce solde restera dans les caisses de la congrégation, et le Fonds devrait se satisfaire de 10% du total des compensations offertes aux victimes, un maximum de 1,6 million.

«La méthode de recouvrement choisie n'est pas conforme à la loi ni au Code de procédure», plaide l'avocat du Fonds, Samy Elnemr.

Émoi

Cet argument a créé l'émoi, mercredi, au palais de justice.

«Ce que je comprends, c'est qu'un joueur s'est impliqué dans le débat et vient gâcher la sauce», dit Sébastien Richard, ancien élève du collège Notre-Dame de Montréal, et qui se bat depuis plusieurs années pour que les sévices qu'il y a subis soient reconnus.

Lors de sa plaidoirie, Me Elnemr a ainsi dû répondre à de nombreuses interventions du juge Auclair, qui n'a pas caché son irritation.

«Pensez-vous que ce soit une saine administration de la justice, de faire tomber le règlement?», a-t-il demandé au représentant du Fonds, soupçonné d'adopter cette position par appât du gain plus que par souci de justice.

«Vous n'êtes pas le ministère du Revenu, quand même, le Fonds d'aide», a tonné le juge Auclair. Ironiquement, il a qualifié de «bon travail» la position du Fonds. «Ils peuvent vous amener 1,6 million et, au lieu de ça, vous préférez avoir zéro», a-t-il ajouté.

«Monstre à plusieurs têtes»

Les avocats des deux parties n'ont fait guère de mystère de leur incompréhension devant l'institution étatique qui met en péril l'entente, obtenue au terme de huit mois de négociations et de trois ans de processus.

«On a un bon exemple de monstre à plusieurs têtes, de Léviathan étatique», illustre Éric Simard, représentant de la congrégation.

Selon Alain Arsenault, avocat des victimes, la position du Fonds est «incompréhensible». «On a quelqu'un qui veut chercher la taxe la plus élevée sur la souffrance humaine», dit-il.

L'entente, rendue publique il y a plus d'un mois, prévoit une indemnisation allant de 10 000$ à 250 000$ pour les victimes qui ont fréquenté le collège Notre-Dame entre 1950 et 2001, le collège Saint-Césaire, entre 1950 et 1991, et l'école Notre-Dame de Pohénégamook, entre 1959 et 1964. Un fonds d'indemnisation pour leurs parents est aussi prévu.

Pas moins de 215 victimes se sont déjà manifestées. Mais ce nombre pourrait encore augmenter au cours des prochaines semaines.

Le juge Auclair a mis la cause en délibéré, mais il a promis une décision rapide.