L'opération policière de la GRC au cours de laquelle des avocats représentant des membres de la mafia ont été espionnés au centre judiciaire Gouin est certes «inhabituelle, surprenante et peut assurément alimenter les discussions». «Toutefois, la preuve révélée dans le cadre de cette requête ne démontre aucun comportement abusif des policiers», a tranché la juge Isabelle Rheault jeudi rejetant ainsi les arguments de Giuseppe De Vito qui demandait l'arrêt de son procès.

De Vito, surnommé Ponytail, est défendu par deux des avocats espionnés. Il est inculpé dans le cadre du projet Colisée, cette vaste enquête de la GRC visant la mafia montréalaise.

L'homme de 45 ans est accusé de gangstérisme, de trafic de cocaïne et de possession d'arme prohibée. Les enquêteurs de l'opération antimafia Colisée l'ont cherché pendant quatre ans après la rafle de novembre 2006 et ne l'ont arrêté qu'en octobre dernier.

Au cours du printemps 2007, des informations sont parvenues aux oreilles de la GRC voulant que des renseignements «coulaient» à partir de la GRC même.

La GRC a ainsi décidé de mettre sur pied une opération, baptisée Clandestin, qui a mené à l'arrestation, en juillet 2007, de l'un de ses employés civils, Angelo Cecere. Ce dernier transcrivait, traduisait et interprétait des conversations en italien interceptées par écoute électronique. Il a été accusé d'avoir transmis des renseignements confidentiels à des membres de la mafia pendant l'enquête Colisée.

«Cecere aurait été à la solde de De Vito», retient d'ailleurs la juge Rheault.

L'enquête de la GRC ne s'est pas terminée là. Le Service des enquêtes spéciales a mis sur pied une seconde opération, baptisée Clandestin II, après avoir reçu des renseignements provenant d'informateurs selon lesquels des policiers de la GRC seraient aussi corrompus et témoigneraient en faveur de la défense dans le projet Colisée.

La GRC soupçonnait des avocats de servir d'intermédiaires entre ces policiers et les membres de la mafia.

Durant six jours en février 2008, trois avocats de la défense: Gerardo Nicolo, Daniel Rock et Michel Pelletier ont ainsi été espionnés par un agent de la GRC dans les corridors du centre judiciaire Gouin.

L'espionnage des avocats a «créé une situation conflictuelle qui porte atteinte aux droits du requérant (De Vito) de préparer sa défense à l'abri de l'État», affirmait la requête qui demandait l'arrêt du processus judiciaire.

L'enquête sur la corruption policière était fondée sur «des rumeurs de rue» et «n'a abouti à rien»; «aucun policier ne fut ciblé ni enquêté», toujours selon cette requête produite par les nouveaux avocats de Giuseppe De Vito, Mes Rock et Pelletier.



De son côté, la poursuite demandait au tribunal de rejeter cette requête puisque l'espionnage des avocats n'avait rien à voir avec De Vito. Cela ne pouvait donc pas amenuiser les chances de l'accusé d'avoir un procès équitable, a d'ailleurs souligné le procureur fédéral Denis Gallant dans une contre-requête.

À l'époque, Mes Pelletier et Rock ne représentaient pas De Vito, mais plutôt un coaccusé, Alessandro Sucapane, souligne la juge Rheault dans sa décision écrite. Sucapane subissait avec d'autres son enquête préliminaire au centre judiciaire Gouin dans le cadre du projet Colisée.

«Le lien qui relie le requérant aux abus allégués, malgré le fait qu'il soit un des accusés dans le dossier «Colisée» et que Cecere ait été possiblement à sa solde, provient essentiellement du fait qu'en exerçant son droit d'être représenté par un avocat de son choix, il a choisi de l'être par Mes Pelletier et Rock, conclut la juge Rheault. Ces faits ne lui donnent pas automatiquement ouverture à une requête de Charte (canadienne des droits et libertés).»

Dans leur requête, les avocats de défense dénonçaient aussi le comportement abusif des procureurs de la Couronne assignés au projet Colisée, Mes Yvan Poulin et Alexandre Dalmau. «Rien ne peut laisser supposer que ces avocats ont agi de façon malveillante, illégale ou contraire au code de déontologie des avocats», indique la juge Rheault dans sa décision.

Le troisième avocat espionné, Me Gerardo Nicolo, 43 ans, a été arrêté en novembre 2008 et accusé de corruption et d'entrave à la justice. Il était alors l'avocat d'Angelo Cecere. Cette cause est toujours devant les tribunaux.

De Vito, surnommé Ponytail, est défendu par deux des avocats espionnés. Il est inculpé dans le cadre du projet Colisée, cette vaste enquête de la GRC visant la mafia montréalaise.