L'homme d'affaires montréalais Michel Safar a présumément comploté avec un dénommé Joe Borsellino pour importer l'une des plus grandes quantités de cocaïne saisies depuis deux ans, selon les révélations faites à son enquête préliminaire, cette semaine.

Seul Safar est accusé dans cette affaire, bien qu'un des deux chefs d'accusation mentionne que lui et Borsellino ont «comploté ensemble et avec d'autres individus pour commettre un crime, à savoir: possession de cocaïne dans le but d'en faire le trafic» entre le 4 et le 27 novembre 2009, indique un des deux actes d'accusation.

Safar est propriétaire de l'entreprise de céramique Importations StoneCo, de Saint-Laurent. Il a été accusé après la saisie de 343 kilos de cocaïne.

Des transcriptions d'enregistrement électronique déposées au palais de justice de Montréal montrent que la GRC soupçonne Borsellino et les autres présumés complices d'avoir joué un rôle plus important que lui. Plusieurs Montréalais portent le nom de Giuseppe (ou Joe) Borsellino, mais le suspect n'est pas identifié dans les documents.

Un autre nom est cité à plusieurs reprises, celui de Domenico (ou Dominic) Tutino, président de la firme Planchers MM Futura inc., à Dollard-des-Ormeaux, dans l'ouest de Montréal. Sa soeur est la femme de Borsellino, selon un des interrogatoires de Safar.

Le 4 novembre 2009, un conteneur est déchargé dans le port de Halifax en provenance du Venezuela, via Kingston en Jamaïque. Il contient 8 palettes de bois contenant à leur tour 647 boîtes de tuiles de céramique.

Les douaniers passent la cargaison aux rayons X et détectent une anomalie dans une boîte. Ils examinent le tout et constatent que 76 boîtes empilées dans deux palettes contiennent une énorme quantité de cocaïne. La drogue est répartie entre chaque tuile. L'importateur des tuiles est la firme Planchers Futura.

Des agents de la GRC saisissent la coke, remettent les boîtes en place et installent un dispositif d'écoute électronique dans la cargaison.

Le 26 novembre, un agent de la GRC se fait passer pour un camionneur et téléphone à Domenico Tutino pour lui dire qu'il a de la marchandise à lui livrer. À sa demande, l'agent-camionneur apporte les tuiles dans une compagnie de transport de Boisbriand. Le lendemain, un camion loué par Joe Borsellino récupère les huit palettes et les apporte chez StoneCo, à Saint-Laurent.

Michel Safar attend la cargaison. C'est un samedi, et en début de soirée, le dispositif d'écoute électronique enregistre sa conversation (en anglais) avec Joe Borsellino. Les deux hommes constatent que des boîtes sont brisées.

«Elles sont toutes brisées! s'exclame Borsellino... Tu sais quoi, ce sont les policiers...» «Avec rien à l'intérieur, commente Safar. Pourtant, ils (les policiers) voudraient te prendre avec quelque chose.»

Borsellino ne sait pas quoi penser. Il se ravise: «Mais, ouais, inquiète-toi pas, c'est pas les policiers. Tu sais, je pense pas (que c'est eux). Ils... ils seraient déjà ici, tu sais?» Il demande à Safar de revenir le lendemain matin, un dimanche, pour décharger le tout: «Qu'est-ce que tu fais demain? Peux-tu venir à 10h?»

«Ouais, je peux venir quand tu veux, répond Safar... Les policiers... Ils doivent te prendre avec quelque chose! OK, qu'est-ce ça signifie? Ils me prennent avec quelques boîtes vides! La belle affaire (big shit)!»

Le 1er juin dernier, la GRC arrête Safar, 47 ans, chez lui, à Pierrefonds, et l'amène à son quartier général, à Westmount. Le sergent Shari Rayner, une femme, l'interroge (en anglais) pendant des heures. Elle lui pose plusieurs questions sur ses relations avec Domenico Tutino et Joe Borsellino.

«Domenico Tutino... ça sonne une cloche? » demande-t-elle. «On a grandi ensemble quand on était enfants, répond Safar. De vrais amis.» «C'est sa compagnie qui a acheté cette marchandise, mais elle aboutit à votre entrepôt», souligne Rayner. «Ouais», répond Safar.

Manifestement, Rayner cherche sa collaboration pour avoir le nom de ses complices. Elle lui demande comment fonctionnent les «familles italiennes». Safar est terrorisé. «Ils vont me tuer», lâche-t-il.

«Vous savez ce que je pense, Mike? dit le sergent. Je pense qu'il y a d'autres personnes avec vous dans cette affaire... Derrière vous... Qui vous tirent et qui vous poussent.» «Je préfère ne pas parler», dit Safar.

«Est-ce que vous connaissez Giuseppe Borsellino?» demande le sergent. «Il y a six ou sept Giuseppe Borsellino dans la ville», répond Safar. «En connaissez-vous un?» «L'un d'eux était mon ex-partenaire», confie-t-il.

Safar répète sans cesse qu'il n'a rien à voir avec l'importation. Le sergent n'en croit rien. «Aidez-moi à comprendre pourquoi vous avez fait ça», dit-elle. «Je ne peux pas, dit-il... C'est dangereux.»

«Mike, vous êtes un des gars (dans le complot), insiste Rayner. Mais si on vous place sur une échelle, vous êtes probablement tout en bas... Mon travail, c'est aller aussi haut que possible dans l'échelle.»

«Je comprends ça, mais vous savez à quel point cette échelle est dangereuse?» demande Safar. «J'aimerais que vous me disiez pourquoi vous avez si peur», répond le sergent. «Vous savez pourquoi, dit Safar. Vous vous moquez de moi? Il y a des gens qui disparaissent chaque semaine. Pas vrai? Je pourrais vous raconter des trucs... mais je ne peux pas faire ça et je ne ferai pas ça. Jamais, et ils le savent. Ils savent que je ne parlerai pas.»

Au cours des interrogatoires, le sergent Rayner confie que d'autres personnes pourraient être accusées. Safar a enregistré un plaidoyer de non-culpabilité.