Stéphane Gagnon, préposé aux bénéficiaires à l'Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme, a eu toute une surprise quand la couverture qui recouvrait le visage du patient arrivé en ambulance a été enlevée, vers midi, le 21 février 2009. Cet homme, qu'on disait intoxiqué et qui venait de tuer ses deux enfants, était le Dr Guy Turcotte, un cardiologue qui travaillait à l'hôpital depuis six ou sept ans.

«Câlice, qu'est-ce que t'as fait?», s'est exclamé M. Gagnon, après avoir fait les manoeuvres et les soins d'usage.

«J'ai tué mes enfants», a répondu M. Turcotte avant d'ajouter qu'il l'avait fait à 20h. «Mon fils dormait dans son lit. Je l'ai poignardé.» Plus tard, M. Turcotte a dit qu'il aimait son fils, qu'il était son meilleur ami.

C'est ce que M. Gagnon a raconté mercredi au procès de Guy Turcotte, au palais de justice de Saint-Jérôme. M. Turcotte, qui a 39 ans aujourd'hui, est accusé des meurtres prémédités de ses deux enfants, Olivier, 5 ans, et Anne-Sophie, 3 ans. Le drame s'est produit dans la maison de Piedmont que M. Turcotte louait depuis un mois, soit depuis sa séparation de sa conjointe, Isabelle Gaston.

Pas de contentions

M. Gagnon pense que M. Turcotte se cachait volontairement le visage dans la couverture grise, à son arrivée à l'hôpital. Par la suite, il a en quelque sorte donné des directives pour ses propres soins. «Il a dit qu'il ne voulait pas de contention, qu'il n'allait pas faire de trouble. Il a dit qu'on n'avait pas besoin de faire tel ou tel test, car sa vie n'était pas en danger. Il a dit qu'on pouvait le mettre dans le corridor, pour aller s'occuper des autres patients.»

Selon le souvenir de Stéphane Gagnon, M. Turcotte pleurait parfois, il avait souvent les yeux mi-clos, mais répondait aux questions. Il n'avait pas pris de drogue ni d'alcool. D'ailleurs, selon la preuve, aucune bouteille d'alcool vide ou pleine n'a été trouvée dans la maison, hormis trois bières pleines dans le frigo. Il disait avoir pris des Tylenol (peut-être une bouteille). Plus tard, il a cependant avoué qu'il avait bu du liquide lave-glace.

M. Turcotte a aussi dit qu'on n'avait pas besoin de lui faire un électrocardiogramme, car son coeur était normal, et qu'on n'avait pas besoin de prendre sa pression, car elle était normale elle aussi.

M. Turcotte a alors demandé son nom au préposé Stéphane Gagnon.

«C'est ironique que tu me demandes ça, depuis le temps qu'on se connaît», a répondu M. Gagnon.

«Je sais que tu travailles bien, Isabelle (femme de M. Turcotte) me l'a dit», aurait répondu M. Turcotte.

C'est à ce moment que M. Gagnon a demandé à M. Turcotte ce qu'il avait fait, et que ce dernier lui a répondu qu'il avait tué ses enfants. Peu après, une infirmière est venue dire à M. Gagnon qu'il ne pouvait discuter de cela avec M. Turcotte, étant donné qu'il n'avait pas d'avocat.

M. Gagnon est resté environ trois heures en présence de M. Turcotte cet après-midi-là, dans une salle. À un certain moment dans l'après-midi, il a entendu M. Turcotte dire: «J'ai tué mes enfants, j'ai tué mes enfants», à deux policiers de la Sûreté du Québec.

M. Gagnon connaissait M. Turcotte depuis six ou sept ans et le croisait souvent à l'hôpital. Il travaillait plus souvent avec la femme du Dr Turcotte, Isabelle Gaston, urgentologue au même hôpital.

«Je sais ce que j'ai fait»

Un peu plus tôt, mercredi, c'est l'ambulancier Bertrand Rochon qui a témoigné. Avec un confrère, il s'est rendu à la maison de Piedmont, et s'est occupé d'un homme intoxiqué qui venait de tuer ses deux enfants. Guidés par un policier, les ambulanciers sont d'abord allés voir dans les chambres des enfants. Les petits avaient de grosses blessures à l'estomac et n'avaient aucun signe vital. Ils sont ensuite allés dans la chambre principale, où se trouvait M. Turcotte. Ce dernier était assis par terre, appuyé sur le mur. Torse nu, il était vêtu d'un sous-vêtement, son pantalon était baissé aux genoux. Il avait du vomi sur lui. Quand on lui a demandé son nom et sa date de naissance, M. Turcotte a répondu qu'il s'appelait Isabelle Bolduc, née le 11 novembre 1970. L'ambulancier a trouvé cela étrange, mais l'a noté. Il a vérifié l'état de M. Turcotte. Sa pression était bonne (135 sur 70), son oxygénation était à 99%. M. Turcotte a dit spontanément: «Je sais ce que j'ai fait.»

Dans l'ambulance, en chemin pour l'hôpital, M. Turcotte a dit à M. Rochon: «Dis à ma femme que je l'aime.» Il aurait aussi dit: «J'ai fait ça ce matin.»

Rappelons que dès le début du procès, M. Turcotte a admis qu'il avait tué ses enfants. Il prétend cependant qu'il n'était pas dans son état d'esprit normal au moment des meurtres. C'est là que réside maintenant l'enjeu de ce procès, présidé par le juge Marc David, et qui se déroule devant un jury de cinq hommes et sept femmes. Les procureures Claudia Carbonneau et Marie-Nathalie Tremblay occupent pour la Couronne, tandis que l'accusé est défendu par les frères Pierre et Guy Poupart. Le procès se poursuit ce matin, mais fera ensuite relâche jusqu'à mardi, pour Pâques.