Après la guerre entre les Bloods et les Crips, la police observe un nouveau phénomène chez les gangs de rue de Montréal: les guerres internes.

C'est ce que le sergent-détective à la Division du renseignement criminel au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) Jean-Claude Gauthier a révélé, hier, alors qu'il témoignait devant la Section d'appel de l'immigration dans la cause de Dany Villanueva.

Cet expert en gangs de rue s'intéresse au phénomène depuis son apparition à Montréal. De la fin des années 1980 à 2007-2008, on a assisté à une guerre entre les Rouges et les Bleus pour le contrôle de territoires de vente de drogues, a-t-il expliqué. D'un côté, les Master B, devenus les Bo-Gars, puis les Bloods dont les fiefs sont Montréal-Nord et Rivière-des-Prairies. Et de l'autre, les CDP, devenus les Crips, dont le fief est Saint-Michel.

Or, on assiste aujourd'hui à un «morcellement» des gangs de rue. «On voit actuellement des meurtres et des tentatives de meurtre: Rouge contre Rouge; Bleu contre Bleu», a expliqué ce spécialiste des gangs. Des revendeurs de drogues qui contrôlent un bout de rue forment une «cellule» et n'hésitent plus à s'attaquer à une autre «cellule» d'un même secteur, a-t-il décrit.

«Dans les années 90, j'ai vu un seul meurtre commis à l'intérieur du même gang, alors qu'aujourd'hui, c'est quelque chose qui ne nous surprend plus», a-t-il poursuivi.

Autre phénomène nouveau à Montréal: les jeunes n'hésitent pas à se faire tatouer des symboles de gangs de rue. Les membres des People Nation Gang (Rouge) se feront tatouer une étoile à cinq pointes, par exemple.

Dany Villanueva s'est d'ailleurs fait tatouer BMF (pour Blood Mafia Family) sur un bras; une inscription qu'il a récemment recouverte d'un nouveau tatouage à représentant une croix.

Les jeunes membres de gangs tournent aussi des vidéoclips hip-hop qu'ils mettent sur YouTube. Ils prennent bien soin de porter des casquettes du Canadien et des Expos pour montrer qu'ils font partie de gangs de Montréal, a insisté M. Gauthier.

Le policier a donné l'exemple de deux vidéos du groupe hip-hop montréalais Mobsterz dans lesquels Dany Villanueva fait de la figuration. Ces vidéoclips où l'on voit des jeunes faire avec leurs mains des signes d'appartenance aux Bloods ont été tournés après la mort du frère de Dany, Fredy, abattu par un policier en août 2008.

Toujours membre

Bien que Dany Villanueva soutienne avoir quitté le gang des BMF à sa sortie de prison en 2007, le SPVM le considère toujours comme un «membre». Il répond à trois des six critères établis par les corps policiers canadiens, a témoigné le sergent-détective Gauthier.

Le jeune homme a été vu à plusieurs reprises par des policiers en compagnie d'autres membres de gangs. Il a participé à au moins un «crime de gang», soit un vol qualifié. Il s'agit du critère obligatoire pour être déclaré membre. Et finalement, il a été vu par la police, alors qu'il portait les signes distinctifs des gangs (tatouage BMF et vêtements rouges).

À Montréal, il y aurait environ 1250 membres de gangs de rue, selon le sergent-détective. De ce nombre, seulement une centaine ont fait l'objet d'une étude en vertu des critères établis par les corps policiers canadiens. Le policier explique cette situation par un manque de ressources au sein de son service.

Contre-interrogé par l'avocat de Dany Villanueva, Me Stéphane Handfield, le sergent-détective Gauthier a indiqué qu'à sa connaissance, aucun membre fiché n'avait été retiré de la banque de données du SPVM parce qu'il s'était désaffilié. Ce qui fait dire à Me Handfield qu'être membre de gang de rue un jour fait en sorte qu'on est membre pour toujours aux yeux du SPVM.

Les plaidoiries ont lieu aujourd'hui. La commissaire à l'immigration Marie-Claude Paquette devra ensuite décider si elle maintient l'ordre d'expulsion pour «grande criminalité» rendu contre Dany Villanueva, si elle l'annule ou encore si elle lui accorde un sursis.