Les croyances ésotériques sont au coeur d'un étonnant procès de blanchiment d'argent qui se tient depuis 15 mois, à Montréal. Leng Ky Lech, 48 ans, et son mari, Sy Veng Chun, 63 ans, sont accusés d'avoir blanchi l'argent du trafiquant de drogue Daniel Muir, assassiné en 2004. La Couronne achève de présenter sa preuve. Ce sera ensuite aux accusés, qui ont plaidé non coupable, de présenter leur version, s'ils le désirent.

Des proches du trafiquant Daniel Muir affirment l'avoir vu scotcher des boîtes de carton Archivex débordant de billets de banque, que «la petite madame chinoise», Leng Ky Lech, venait ensuite cueillir chez lui. Il ne fallait pas traîner.

«Décâlisse au plus vite», pressait Muir! C'est ce qui se dégage des témoignages entendus au procès de Leng Ky Lech, 48 ans, et de son mari, Sy Veng Chun, 63 ans, le couple accusé d'avoir aidé Muir à blanchir ses profits de la drogue, entre 2000 et 2005, par le biais de ses bureaux de change du boulevard Saint-Laurent, A et A Services monétaires et Pen Heng Or and Gold.

Selon la Couronne fédérale, cela tend à démontrer que Muir et le couple avaient conclu une entente. La voyante et confidente de Muir, Suzanne Pépin, affirme avoir assisté à des pourparlers à ce sujet, entre lui et Mme Lech, dans un restaurant du Vieux-Montréal, au début des années 2000. Muir l'avait amenée comme «témoin», mais il comptait aussi qu'elle se serve de ses dons pour évaluer s'il s'agissait d'une bonne affaire. En même temps, il voulait montrer qu'on ne pourrait pas le rouler facilement.

Argent et diamants

Mme Pépin se souvient qu'au restaurant, Mme Lech expliquait qu'elle avait déjà eu des problèmes avec une banque au Cambodge dans le passé, et qu'elle voulait en ouvrir une avec un «double mur». Elle demandait 7 millions à Muir, et parlait de lui payer des intérêts de 80 000$ par mois, et de lui donner des diamants. Elle disait avoir d'autres clients comme Muir, et faisait valoir que ce dernier pourrait s'acheter des terrains au Cambodge, se faire construire une maison et y envoyer son argent. Le mari de Mme Lech s'occuperait du transport d'argent.

De son côté, Muir se disait disposé à donner 4 millions pour commencer, et plus par la suite, si tout se passait bien. Il aurait ensuite confié à la voyante qu'il avait donné les 7 millions demandés par «la petite madame chinoise». Plus tard, c'est «100 millions» qu'il disait avoir envoyés au Cambodge. En contre-interrogeant certains témoins, les avocats de la défense se sont toutefois efforcés de démontrer que Muir était porté à l'exagération.

Quoi qu'il en soit, selon la preuve du ministère public, Muir a été en contact avec Mme Lech jusqu'à sa mort en 2004. Mais leurs relations s'étaient détériorées. Muir réclamait son argent avec insistance, et Mme Lech aurait dit à son conseiller spirituel, le bouddhiste Dara Chen, que le «Frenchman était fou», qu'elle n'avait pas son argent.

Une passoire

Un procès n'irait pas bien loin avec les dires d'une tireuse de cartes, d'un ex-moine bouddhiste, et le témoin principal qui n'est plus de ce monde. Mais la Couronne fédérale a fait défiler au moins 50 témoins, déposé des rapports d'enquêtes et de perquisition de la GRC, des témoignages d'experts, des analyses juricomptables, et d'autres documents pour étoffer sa preuve. La comptabilité des bureaux de change A et A Services monétaires et Pen Heng Or and Gold a été décrite comme «une passoire».

Ce que la Couronne tente de prouver depuis des mois, c'est que par une cascade d'opérations complexes comprenant l'achat de diamants en Belgique et en Israël, l'utilisation de sociétés façades, de transports et transferts sinueux d'argent, les accusés ont blanchi l'argent de Muir, et en ont profité personnellement. Notamment en se faisant bâtir une maison rigoureusement Feng Shui à Saint-Laurent. Mme Lech est aussi propriétaire sur papier de la luxueuse maison perchée dans la montagne de Mont-Saint-Hilaire, que Muir habitait au moment de sa mort. La Couronne soutient que Muir en était le véritable propriétaire. Il est à noter que les deux maisons sont sous ordonnance de blocage depuis sept ans. À l'époque, elles valaient 1,2 million chacune.

Le 2 mai, lorsque le procès reprendra au palais de justice de Montréal, la Couronne présentera les derniers éléments de sa preuve. Ce sera ensuite aux accusés, qui ont plaidé non coupable, de déployer leur défense, s'ils le désirent. Ils sont représentés par les avocats Raphaël Schachter et Dominique Saint-Laurent.

S'ils sont reconnus coupables, les accusés s'exposent à une peine pouvant aller jusqu'à 10 ans de prison. Sans compter l'argent réclamé par le fisc, la confiscation définitive de diamants d'une valeur de 1 million, les 600 000$ saisis à l'aéroport, et les maisons de Saint-Laurent et Mont-Saint-Hilaire.

En attendant l'issue, les accusés demeurent dans un autre domicile à Montréal. Devinez dans quelle rue? Eh oui!

La rue Muir.

Il s'agit ici du troisième et dernier texte de cette série, publiée depuis mardi.