«C'est mon hood life / Une autre mauvaise nouvelle / Un autre se fait piquer / Une vie pas fait pour tout le monde / Un monde de chacun pour soi / La plupart agissent / Après, ils pensent»



Mercredi soir du mois de mars. Les paroles chantées et écrites par D.P.* résonnent dans l'auditorium au trois quarts vide de Cité-des-Prairies. On a rarement vu un lancement de disque aussi peu couru. Et c'est voulu.

Ici, dans l'établissement où sont incarcérés les pires jeunes délinquants de Montréal, c'est une question de sécurité. Ces jeunes de 16,17 ou 18 ans ont commis des crimes odieux: meurtre gratuit, viols en série et autres voies de fait graves.

Ce soir, une dizaine d'entre eux sont sagement assis dans les deux premières rangées. Une poignée d'éducateurs les encadrent. Ils n'avaient pas le droit d'inviter d'amis de leur quartier (hood) ni même les autres jeunes de Cité. Trop de potentiel explosif.

Seuls les parents ont eu le droit d'y assister. Rares sont ceux qui ont répondu à l'invitation. Ils ont l'habitude de voir leurs garçons menottés à la cour. Des enfants dont ils ont perdu le contrôle. Certains parents ont jeté l'éponge. D'autres ont juste trop honte. Ce soir, ils auraient pourtant de quoi être fiers.

Le projet de disque a germé dans la tête d'une éducatrice du centre jeunesse - et grande amatrice de hip-hop - l'automne dernier. Chaque vendredi, Claudine Turcotte cherchait des idées originales pour son atelier discussion. Un soir, elle a organisé une séance d'écriture pour que ces jeunes jettent leurs émotions sur papier. Le résultat l'a surprise.

«Ce sont en majorité des gars de gangs de rue. Certains ne sont pas capables d'exprimer la tristesse, l'abandon, la colère autrement que par la violence», décrit l'intervenante. Elle a réussi ce qui semblait impossible : leur faire troquer leur couteau pour une plume et un micro.

L'éducatrice a fait aller ses contacts dans le monde du hip-hop pour trouver un studio professionnel qui accepterait de donner une chance aux jeunes.

En janvier, avec l'appui du centre jeunesse de Montréal et beaucoup de débrouillardise, les dix jeunes qui avaient écrit les meilleurs textes ont enregistré P.D.C. La face cachée de la rue.

P.D.C pour Cité-des-Prairies à l'envers. Mais aussi pour Public Danger Crew. «Ce n'est pas parce que la société te perçoit comme un danger public que tu ne feras rien de bon dans la vie. Les gars voulaient montrer qu'ils sont capables de faire des trucs bien aussi», souligne l'éducatrice.

Les lois de la rue

Charly est incarcéré à Cité depuis un an. C'est en écrivant Kill the pain, qu'il a exprimé pour la première fois des regrets pour sa victime. Dans l'univers de la vente de drogues, plusieurs de ses amis se sont fait tuer. Et un soir, c'est lui qui a commis l'irréparable.

«C'est difficile d'accepter que j'ai causé la mort de quelqu'un. Ça risque d'être toujours difficile», raconte le jeune homme de 18 ans. Dans sa chanson, il décrit qu'il se sent mort à l'intérieur; que la douleur est en train de le tuer.

À 13 ans, l'ado vendait des cigarettes volées à l'école secondaire. À 17 ans, il avait toujours au moins 2000 dollars dans les poches, fruits de la vente de stupéfiants. Il ignorait jusqu'alors le prix à payer. «Dans ce monde-là, un jour tu peux être agresseur. Le jour d'après, tu deviens la victime. Ça change vite. Du jour au lendemain, ça te pète dans la face», décrit le jeune homme au visage juvénile.

D.P., 18 ans, a déjà «piqué» (poignardé dans le langage de rue), et il a déjà été piqué. «Si je n'étais pas rentré à Cité, je serais mort», dit le jeune membre de gang. Il a découvert un truc qui apaise sa violence: l'écriture.

Sa mère l'a élevé seule. Elle n'avait pas d'emploi. Elle en a arraché. Lui aussi. «L'argent entre mes mains/ Me permet d'oublier ma faim / Je vole pas par envie / Je vole pour ma survie», chante-t-il. Ce soir, sa mère s'est déplacée pour assister au lancement. «Je lui fais souvent de la peine. Aujourd'hui, elle va être fière de moi», dit D.P. avec l'enthousiasme d'un gamin.

Paroles crues, mais nécessaires

Plusieurs petits miracles ont opéré lors de la confection de l'album. Un Bleu et un Rouge, deux gangs ennemis de la métropole, ont fait la trève pour écrire un rap ensemble. Un jeune prédateur sexuel, mis à l'écart depuis son arrivée au centre en raison de la nature de ses délits, a réussi à s'intégrer après avoir composé une chanson crève-coeur sur sa vie.

L'exercice est salutaire, selon le criminologue René-André Brisebois. «Aux États-Unis, on voit beaucoup de rappeurs raconter leur vécu de la sorte. Trop souvent, on ne porte pas attention aux difficultés de ces jeunes. Même si les paroles sont crues, parfois violentes, c'est important qu'ils les verbalisent», explique cet expert en gangs de rue au Centre jeunesse de Montréal.

Dans L'enfer d'une vie, D.P. et Charly chantent: «J'combats le diable à ma manière/ Devant ce micro je pars en guerre ». À leur sortie de Cité-des-Prairies, lorsqu'ils auront fini de purger leur peine, qui sait, s'ils ne troqueront pas pour de bon leur couteau pour un micro.

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* La loi nous interdit de publier l'identité de ces jeunes contrevenants. Les jeunes ont emprunté des noms de rappeur qui figurent sur l'album. On a utilisé les mêmes aux fins de ce reportage.