Une minuscule cellule peuplée de moustiques et de coquerelles, avec au centre deux matelas infestés de punaises de lit: c'est là, dans un commissariat de la capitale mauritanienne, que les Montréalais Stéphane Lapierre et Urs Jakob ont passé leur Réveillon.

«Ça fait partie de mon top-10 des pires Noël», rigole aujourd'hui Lapierre. Lui et son compagnon d'infortune peuvent enfin en rire, car leur calvaire de 20 jours en Mauritanie a pris fin mardi soir quand ils sont finalement rentrés au pays.

Assis dans un restaurant mauritanien du Mile-End, les deux documentaristes ont raconté mercredi leurs mésaventures à La Presse. Partis au début décembre documenter le parcours de réfugiés maliens en Mauritanie, ils ont été arrêtés, ont passé dix jours en prison et ont fait face à des accusations qui auraient pu leur valoir 40 ans derrière les barreaux.

«Dans les premiers jours on était dans le Nord du pays et tout s'est bien passé, explique Stéphane Lapierre, entre deux gorgées de thé à la menthe. C'est quand on est rentrés dans la capitale que les choses ont dérapé.»

À Nouakchott, ils logent dans un hôtel chic avec trois Maliens dont la présence alerte les autorités. Le 20 décembre, soit deux jours avant la date de leur retour au Canada, des hommes demandent à les voir à la réception. Il s'agit de policiers qui les emmènent au poste pour un interrogatoire.

Les policiers accusent les deux Montréalais d'avoir filmé sans autorisation. Les documentaristes racontent qu'ils avaient remué ciel et terre pour obtenir un permis, mais que les autorités refusaient de leur en accorder: une manière de passer sous silence le phénomène de ces Maliens qui transigent par la Mauritanie pour gagner l'Europe.

«C'est un risque qu'on avait calculé, indique Stéphane Lapierre, 40 ans. On avait pris des précautions, je filmais par exemple avec un appareil photo plutôt qu'une caméra. Ce qu'on n'avait pas calculé, ce sont toutes les accusations qui allaient se rajouter.»

Arrêtés puis enfermés dans une cellule du commissariat, ils pensent d'abord qu'il s'agit d'un malentendu qui sera vite réglé. Au fil des jours, des accusations se rajoutent: espionnage, escroquerie, atteinte à la sécurité de l'État, aide à l'immigration clandestine... Ils risquaient un total de 41 ans de prison, indique M. Lapierre.

Coup de tonnerre: après six jours, ils sont transférés à la prison de Dar Naïm. D'une capacité de 350 prisonniers, elle en accueille plus de 1000 dans des conditions insalubres selon Amnesty international. «À ce moment-là, je me suis dit: «Ouin, je ne sais pas ce qui va se passer, on en a peut-être pour longtemps ici.»» se rappelle M. Lapierre.

Mais le pire, dit-il, c'est de savoir que des proches attendent, sans nouvelles, à la maison. «Je me disais, je pourrais être ici 5 ans, 10 ans. Je peux juste compter les coquerelles et prendre mon mal en patience. Mais les gens qui m'attendent sans savoir ce qui se passe, mes deux filles, mon père qui est malade à Québec, ma blonde... Ça, c'est épouvantable.»

Grâce au travail de leur avocat mauritanien et peut-être pour des raisons diplomatiques - Stéphane Lapierre est citoyen canadien alors que Urs Jakob est à la fois suisse et américain - ils sont finalement libérés le 30 décembre.

Les accusations tombent ensuite une à une. Leurs passeports, qui avaient été confisqués, leur sont finalement rendus. Mardi, ils atterrissent à Montréal. À l'heure actuelle, la seule accusation susceptible d'être maintenue est celle d'avoir filmé sans permis. Mais même s'il y avait un procès, celui-ci aurait probablement lieu par contumace: ni l'un ni l'autre n'a l'intention de retourner en Mauritanie de sitôt.

Et le documentaire dans tout ça? «Des disques durs et mon ordinateur m'ont été confisqués et sont restés là-bas, alors les images sont peut-être perdues», note Stéphane Lapierre.

Mais les deux hommes pensent qu'un film pourrait quand même naître de leur aventure. En retrouvant au Mali les trois migrants emprisonnés avec eux, peut-être. Ceux-ci étaient d'ailleurs encore à la prison de Dar Naïm quand les Occidentaux ont été relâchés.

«Je suis vraiment inquiet pour mes amis maliens. Ils sont en prison dans un pays étranger, n'ont personne pour s'occuper d'eux, pour leur amener à manger, s'indigne Urs Jakob. Ils n'ont commis qu'un crime, celui d'avoir espéré se rendre en Europe.»