Les yeux rougis, reniflant, essuyant ses larmes, Mohamed Harkat a clamé son innocence, hier, au lendemain de la décision de la cour fédérale de maintenir son certificat de sécurité. Dans une conférence de presse très émotive, à Ottawa, ses avocats ont confirmé qu'ils porteront la cause en appel, jusqu'à la Cour suprême s'il le faut.

«Depuis la décision hier, je n'arrive plus à dormir, je ne peux pas penser clairement, j'ai une douleur constante au ventre, a raconté, dévasté, l'Algérien d'origine, aujourd'hui âgé de 42 ans. Je jure, sur ma vie, que je n'ai jamais été, et ne serai jamais, impliqué dans des activités terroristes.»

Arrivé au Canada en 1995, il faisait l'objet d'un certificat de sécurité depuis 2002, soupçonné de terrorisme, mais n'a jamais été mis en accusation.

Jeudi, le juge Simon Noël a estimé qu'il existait «des motifs raisonnables de croire que Mohamed Harkat s'est livré au terrorisme, constitue un danger pour la sécurité du Canada et est membre du réseau de ben Laden». La cour, stipule le jugement, considère que M. Harkat n'est pas sincère, ni honnête, ni transparent. Pour des raisons de sécurité nationale, la preuve, dans ces causes, n'est jamais rendue publique.

Or, la décision du juge Noël est une victoire importante pour Ottawa, une première depuis que la Cour suprême a invalidé en 2007 les certificats de sécurité. Deux des nouveaux certificats délivrés après l'adoption d'une modification législative, en 2008, ont été invalidés par les tribunaux l'année dernière.

Hier, les avocats de M. Harkat ont annoncé leur intention de mener la cause à nouveau devant la Cour suprême, pour contester la constitutionnalité de la loi de 2008, qui ne permet toujours pas à quelqu'un sous le coup d'un certificat de sécurité d'avoir accès à la preuve que détient le gouvernement contre lui.

«Nous sommes dans le noir. Tout ce que nous savons, c'est que la décision (du juge) est basée sur du matériel qui n'a jamais été rendu public», a déploré Me Norman Boxall, un des avocats dans le dossier.

Plusieurs organisations non gouvernementales appuient depuis des années cette cause, jugeant que M. Harkat doit avoir droit, comme tout le monde, à un procès juste et équitable.

«Sans avoir accès à la preuve contre toi, tu ne peux pas te défendre, a jugé Jessica Squires, de l'Alliance canadienne pour la paix. À notre avis, le système canadien des certificats de sécurité suspend la primauté du droit et viole les droits fondamentaux protégés par la Charte canadienne.»

«C'est une triste défaite pour les droits de la personne au Canada», a renchéri Ishaan Gardee, du Conseil canadien des relations islamo-américaines.

En larmes, la femme de Mohamed Harkat, Sophie Lamarche, a raconté comment ce jugement, et «l'humiliation subie depuis huit ans» avaient ruiné leur vie et leurs plans d'avenir.

«Il faut que ça ait été motivé politiquement, a-t-elle estimé. On veut que la vérité sorte. Ce n'est pas ce qui est sorti hier.»

Mohamed Harkat est maintenant menacé d'expulsion en Algérie, où il affirme que sa vie serait en danger.

Au Parlement, le ministre de l'Immigration, Jason Kenney, a appuyé la décision du juge Noël et déploré que les lois actuelles rendent difficile l'expulsion d'étrangers.

«La cour a été claire. Il est un terroriste. Il a trompé les Canadiens et nos lois estiment qu'il doit être expulsé. Le gouvernement prendra donc toutes les mesures légalement possibles pour s'assurer que ça arrive», a dit M. Kenney.

«Je trouve très frustrant le fait que ce soit parfois si difficile de renvoyer à la frontière les terroristes et les criminels étrangers, a-t-il ajouté. Évidemment, tout le monde a droit aux procédures légales, mais nous voyons, je dirais, un abus du système légal canadien par certains terroristes étrangers et criminels.»

Chronologie

> 1995: Originaire de l'Algérie, Mohamed Harkat arrive au Canada comme réfugié, muni d'un faux passeport saoudien.

> 10 décembre 2002: il est arrêté à son domicile d'Ottawa, en vertu d'un certificat de sécurité. Il sera incarcéré trois ans et demi, sans accusation.

> Juin 2006: il est libéré mais assigné à résidence, avec de très strictes conditions. Il lui est notamment interdit d'utiliser un ordinateur ou un téléphone portable, et il doit avertir le gouvernement 48 heures avant toute sortie de son domicile, où il est en permanence sous surveillance.

> 23 février 2007: la Cour suprême du Canada juge que les certificats de sécurité sont inconstitutionnels.

> Février 2008: le gouvernement canadien adopte une nouvelle loi et à la veille de la date butoir imposée par la Cour suprême, délivre cinq nouveaux certificats de sécurité, améliorés, dont celui de Mohamed Harkat.

> Automne 2009: deux de ces certificats de sécurité sont déclarés invalides par la cour fédérale, dont celui du Montréalais Adil Charkaoui.

> 9 décembre 2010: le certificat de Mohamed Harkat est maintenu.