Me James Woods, l'avocat qui représente Pierre Karl Péladeau dans le procès en diffamation qu'il a intenté contre Sylvain Lafrance, a l'impression d'avoir vécu un procès à la Kafka avec le juge Claude Larouche.

«On est dans un procès en diffamation... Il accuse mon client d'intimidation et m'accuse de harcèlement... C'est du jamais vu dans l'administration de la justice. C'est digne de Kafka, ce n'est pas digne de la Cour supérieure», a fait valoir Me Woods, hier, alors qu'il plaidait en Cour d'appel pour obtenir la permission d'interjeter appel du refus du juge Larouche de se récuser. Lundi dernier, ce dernier n'a pas voulu se récuser comme le demandait Me Woods, après des incidents survenus au cours de ce procès qui durait depuis une douzaine de jours.

L'avocat principal de M. Péladeau reproche au juge Larouche d'avoir un parti pris contre son client et d'être hostile à ses avocats, dont lui-même. Pour étoffer sa demande, Me Woods a mis en relief une série de déclarations du juge au cours du procès. Ses principaux arguments tiennent cependant au fait que le juge a lui-même introduit de la preuve au procès en exhibant deux magazines, L'actualité et La Semaine. Le juge se demandait si M. Péladeau avait mis au point une sorte de stratégie pour redorer son blason et intimider le juge.

Mais la goutte qui a fait déborder le vase, pour Me Woods, c'est quand le juge a refusé, le 25 novembre, de retarder le procès d'une journée pour lui permettre de se rendre aux funérailles de sa soeur, en Ontario. Le juge a décrété que Me Woods pouvait aller aux funérailles, mais que le procès se poursuivrait avec son assistant, Me Richard Vachon.

Après cette décision, Me Woods et ses confrères, dont l'avocate de Radio-Canada, sont allés voir le juge dans le corridor pour tenter de le faire changer d'idée. Il a refusé. Le lendemain, après avoir pris connaissance de la demande de récusation, le juge a dit qu'il s'était quasiment fait harceler par les avocats, la veille.

De l'humour

De son côté, Me Julie Chenette, avocate de M. Lafrance et de Radio-Canada, est d'avis que le juge Larouche est apte à poursuivre le procès. Elle soutient que la majorité des reproches qui lui sont adressés concernent des propos qui se voulaient humoristiques. Selon elle, ils ont peut-être parfois été maladroits, mais ils étaient anodins et ne relevaient certainement pas du parti pris. «Il a été dur pour moi aussi; il m'a dit de m'asseoir et de me taire», a-t-elle dit.

«Ça ne me rassure pas», a dit le juge Michel Robert sur un ton mi-badin. Il a donné l'exemple de ce juge qui se disait impartial parce qu'il «engueulait tout le monde».

Me Chenette a fait valoir qu'il ne fallait pas être trop susceptible dans un procès comme celui-là et a signalé qu'on en mettait beaucoup sur le dos du juge dans la requête. «Son humour se retourne contre lui.» Elle a signalé que même des témoins du requérant et un de ses avocats ont ri à certaines remarques du juge. «Moi, je ne riais pas», a tenu à préciser Me Woods.

Quoi qu'il en soit, le juge Robert a semblé pour le moins préoccupé par l'attitude du juge Larouchet. «C'est le cumul qui m'inquiète. L'humour est toujours difficile pour un juge, c'est un art plein de risques. On a tous des états d'âme. Une des formations de juge qu'on reçoit, c'est de les conserver pour soi. Il faut s'entraîner à la discrétion. La sérénité, généralement, amène à la qualité de la justice.»

Le juge Robert a mis l'affaire en délibéré et rendra sa décision cet après-midi.

Rappelons que le grand patron de l'empire Quebecor réclame 700 000$ à M. Lafrance pour des déclarations qu'il a faites quand M. Péladeau a annoncé qu'il suspendait les paiements de Vidéotron au Fonds canadien de télévision, en janvier 2007. «Ce gars-là se promène comme un voyou...» avait dit M. Lafrance.