L'opération Producto, que la police a menée récemment dans la grande région de Montréal contre des fabricants de drogues de synthèse, démontre à quel point les enquêteurs qui luttent contre le crime organisé doivent parfois user de stratagèmes ingénieux pour arriver à leurs fins.

Les enquêteurs du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ont dû inventer une fuite de gaz dans un quartier résidentiel de Brossard pour démanteler un laboratoire de méthamphétamine sans mettre la puce à l'oreille des trafiquants, contre qui ils devaient encore accumuler de la preuve, a-t-on appris mardi au palais de justice de Montréal.

Le stratagème a été dévoilé à l'ouverture du procès d'un acteur-clé du réseau, Hector Rubio Meda, qui a décidé de couper court au processus judiciaire, mardi. L'homme de 46 ans s'est reconnu coupable sous cinq chefs d'accusation liés à la production et au trafic de stupéfiants. Le narcotrafiquant, qui a des antécédents en semblable matière aux États-Unis, avait demandé l'asile au Canada et attendait la réponse lorsqu'il a été appréhendé, le 26 juin 2009.

Treize personnes soupçonnées de faire partie de deux réseaux de trafiquants de la grande région de Montréal ont été accusées au terme de l'enquête Producto. Le réseau «mexicain» était spécialisé dans l'importation de cocaïne, alors que le réseau «arabe» fabriquait des drogues de synthèse, selon la preuve de la Couronne. Meda a été impliqué dans les deux.

Un processus dangereux

Au mois de mai 2009, les enquêteurs ont découvert que des trafiquants avaient installé un laboratoire de fabrication de drogues de synthèse dans une maison de Brossard. C'était un problème de taille. La sécurité du public était mise en péril. Les produits qui entrent dans la fabrication des drogues de synthèse peuvent provoquer des explosions et dégager des vapeurs nocives pour la santé. Il fallait démanteler le laboratoire le plus vite possible.

Or, l'enquête n'était pas terminée. Une descente dans le laboratoire aurait alerté les têtes dirigeantes du réseau, qui risquaient de disparaître dans la nature.

C'est ainsi que les enquêteurs ont eu l'idée de faire croire aux résidants de la rue San Francisco, à Brossard - et surtout à ceux qui surveillaient le laboratoire clandestin -, qu'il y avait une fuite de gaz dans le secteur. Des pompiers, dépêchés pour trouver la fuite, ont découvert «par hasard» le laboratoire.

En apprenant la nouvelle, les chefs du réseau se sont mis à paniquer. Ce que Youssef Berjawi, Adel Hassan Farahat et Hector Rubio Meda ne savaient pas, c'est que leurs téléphones étaient sur écoute et qu'eux-mêmes étaient surveillés. Les policiers ont capté sur vidéo leur engueulade au sujet de cette «fuite de gaz» qui venait de compromettre une partie de leurs activités illicites. La preuve des policiers, elle, était ainsi renforcée.

Une grande quantité d'éphédrine (composante essentielle à la fabrication de méthamphétamine) d'une valeur de 800 000$ a été trouvée dans la résidence de Brossard. Les trafiquants auraient pu fabriquer 1,6 million de comprimés de drogue, qui se vendent autour de 20$ chacun.

Berjawi, 28 ans, s'est reconnu coupable de trafic de cocaïne et de fabrication de drogues de synthèse en mai dernier. Il a écopé d'une peine de cinq ans et deux mois d'emprisonnement. Pour sa part, Adel Hassan Farahat, 54 ans, retournera devant le tribunal à la fin du mois pour son enquête préliminaire.

Quant à Meda, la Couronne et la défense ont recommandé une peine de quatre ans de prison, mardi, au juge Louis A. Legault, de la Cour du Québec. Cette peine semble clémente à première vue, mais il faut garder en tête que Meda est dans la ligne de mire d'Immigration Canada. «L'accusé devient indésirable au Canada et sera renvoyé au Mexique», a expliqué le procureur de la Couronne, Jean-Claude Boyer.

Difficile de comprendre comment Meda a pu entrer au Canada à titre de réfugié, alors qu'il venait de purger une peine de sept ans en Californie, justement pour avoir fabriqué des drogues de synthèse. Selon la Couronne, Meda n'aurait pas déclaré ses antécédents judiciaires à son entrée au pays.

Son avocat, Me Alexandre Bergevin, affirme le contraire. Pour entrer au Canada, le trafiquant aurait déclaré avoir été menacé de représailles au Mexique en raison de ses activités illégales aux États-Unis. L'avocat de la défense était satisfait de l'entente conclue avec la Couronne, mardi. «Ce genre de dossier vaut 12 ans de prison, je suis très satisfait d'avoir obtenu 4 ans pour mon client», a-t-il souligné à sa sortie de la salle d'audience. Le juge devrait entériner cette peine le 18 janvier.