Un peu comme O.J. Simpson, acquitté au criminel mais condamné au civil, un homme issu d'une famille campagnarde de 20 enfants devra finalement verser 250 000$ à huit de ses frères et soeurs dans la foulée d'une terrible histoire d'inceste.

On a découvert le pot aux roses lors d'un conseil de famille organisé en 2006 au sujet de mystérieux retraits d'argent dans le compte bancaire de leur mère. L'une des filles de la famille a alors lancé à propos de son frère, qui administrait le compte: «Il a brisé ma vie, mais il ne brisera pas celle de maman!»

Interrogée par ses frères et soeurs sur ce qu'elle entendait par là, elle a déclaré que son frère l'avait violée quand elle avait 13 ans.

Une autre de ses soeurs a alors avoué qu'elle avait subi le même sort dès l'âge de 5 ans. Lorsqu'elle a eu 10 ans, son frère lui aurait dit: «Tu deviens une grande fille, on peut arrêter.»

À la Cour criminelle, où le juge doit acquitter l'accusé au moindre doute raisonnable sur sa culpabilité, l'homme a été acquitté.

Estimant que ses frères et soeurs s'étaient ligués contre lui «pour le poursuivre au criminel s'il ne débarquait pas des papiers», l'homme s'est tourné vers la Cour supérieure pour poursuivre huit d'entre eux.

Une très mauvaise idée.

Devant les nombreuses contradictions dans le témoignage de l'homme, et forte de nouvelles preuves, la juge Lise Matteau a conclu sans mal, elle, qu'il y avait bel et bien eu viol et qu'il n'était pas trop tard pour ordonner réparation.

L'homme ne s'est pas aidé en commençant par nier catégoriquement les faits, pour ensuite dire étrangement que toutes ces histoires l'avaient amené à remonter dans sa mémoire pour tenter de trouver s'il l'avait fait. «J'ai rien trouvé», a-t-il conclu. Cet exercice, dit-il, l'aurait même mené à la dépression.

Pour la juge Matteau, il n'est pas étonnant que les victimes se soient tues si longtemps. Elle a évoqué la gêne, la honte - qui a notamment mené l'une d'elles à faire deux tentatives de suicide et à prendre des antidépresseurs à long terme - et le manque total d'appui de leur mère et d'un autre de leurs frères quand elles ont tenté de parler.

L'une des deux soeurs, à l'âge de 30 ans, s'était confiée à sa mère. «Tu ne m'en as jamais parlé, O.K.?» a répondu celle-ci.

L'autre victime, alors qu'elle avait 17 ans, avait choisi de parler à un de ses frères. Il l'a plaquée au mur, l'a tenue par les deux épaules et lui a lancé à la figure: «Ne dis jamais cela à personne.»

À la cour civile, l'agresseur a soutenu que, de toute façon, tout cela était hors sujet puisqu'il était mineur au moment des faits qu'on lui reprochait.

Cet argument ne tient pas la route, a corrigé la juge. Dès qu'on est à même de distinguer entre le bien et le mal, on est responsable de ses actes.

Et comment aurait-il pu violer deux de ses soeurs alors qu'il y avait autant de monde à la maison? Encore là, la Cour a considéré crédible la version des victimes, qui ont expliqué que cela s'était notamment passé dans l'étable, ou le soir, quand tout le monde dormait, ou alors quand leur mère partait plusieurs jours pour l'un ou l'autre de ses accouchements.

Non seulement la juge Matteau n'a pas accordé un sou à l'homme, qui réclamait 690 000$ à ses frères et soeurs (notamment pour des problèmes de santé ou financiers qu'il disait consécutifs à la poursuite au criminel), mais elle l'a condamné à payer 250 000$: 25 000$ à l'une des victimes, 75 000$ à l'autre, et 25 000$ à chacun des six autres frères et soeurs victimes d'«abus de procédure».