Pour une phrase malheureuse publiée en janvier 2009 dans son bulletin trimestriel, l'Association générale des insuffisants rénaux (AGIR) est aujourd'hui poursuivie par une ex-journaliste, qui réclame 24 999$ pour «atteinte à sa dignité et à son honneur».

La poursuite déposée en Cour du Québec vise aussi la succession de l'auteur de l'écrit, Bernard Ranger, mort en juillet dernier de sa maladie rénale. Ce dernier ainsi que l'Association avaient présenté leurs excuses à la plaignante, mais celle-ci aspire à être «indemnisée justement», lit-on dans sa requête.

Pour l'AGIR, qui fonctionne avec de maigres subventions et que des bénévoles bien souvent malades et dialysés tiennent à bout de bras, c'est comme si le ciel lui tombait sur la tête. En 30 ans d'existence du bulletin, c'est la première fois qu'un tel problème survient. «On est totalement démunis. On ne sait pas quoi faire. On n'a pas d'avocat, on essaie d'avoir des conseils juridiques gratuits, mais c'est difficile. Pour nous, 25 000$, c'est énormément d'argent», signale Stéphane Demers, directeur de l'affirmation sociale à l'AGIR.

Bernard Ranger avait dans le bulletin AGIR une chronique intitulée «La page à Ranger». Il s'agissait d'une chronique d'humeur, souvent humoristique mais qui pouvait aussi verser dans le tragique, au gré de l'état de santé de l'auteur.

Selon M.Demers, M. Ranger prenait énormément de médicaments vers la fin de sa vie et n'était «plus lui-même». Ancien greffé, il avait finalement perdu son rein. Il était sous dialyse depuis de nombreuses années, avait subi des pontages coronariens et des amputations.

La phrase à l'origine du litige, qui se voulait humoristique, est celle-ci: «J'avais passé la soirée à me sauver de (...), journaliste-groupie, laide comme un coup de poing dans un pâté chinois, et qui venait se foutre dans toutes mes photos avec les membres du groupe.» L'auteur y racontait un souvenir de jeunesse qui remontait au début des années 80, lorsqu'il avait rencontré un groupe rock de renommée internationale.

La plaignante, qui se décrit aujourd'hui comme recherchiste à la pige, affirme avoir découvert l'existence de cet écrit en septembre 2009, après avoir lancé une recherche dans Google à partir de son propre nom. Étant donné le passage du temps, les dommages causés à la plaignante, s'il y en a, pourraient être bien minimes, mais la poursuite soutient que, «à la lecture de cette affirmation gratuite, injurieuse et faisant de la personne nommée dans le texte un objet de ridicule... elle s'est sentie blessée, triste, fâchée, au point de ne pouvoir dormir la première nuit, et de manquer de concentration à son travail les deux jours suivants».

Abondantes excuses

La demanderesse a mandaté un avocat pour obtenir réparation. Mis en demeure à la fin du mois de janvier 2010, l'Association et M.Ranger ont répondu par lettre et présenté d'abondantes excuses dès le numéro suivant, soit en avril 2010. Ils ont aussi fait disparaître la page litigieuse du web et ont détruit tous les exemplaires du bulletin qu'ils ont pu rattraper. Mais cela n'a pas suffi puisque la poursuite a été déposée la semaine dernière au palais de justice de Montréal. «Nos excuses, ils ont trouvé que c'était de la «pacotille»», s'étonne M.Demers.

L'Association a jusqu'à demain pour répondre en vertu de règles juridiques qui lui sont totalement étrangères. «C'est un stress pour nous. On est gros comme une peanut», se désole M.Demers, qui va lui-même en dialyse trois fois par semaine depuis 17 ans.

Imprimée à 5000 exemplaires, la revue AGIR est distribuée aux membres de l'Association (4000, selon M.Demers) et dans les hôpitaux.