Lorsqu'elle a senti la mort approcher, dans les années 90, Laurencia Dulac s'est inquiétée pour l'avenir de son fils Richard, atteint de trisomie 21. Un autre de ses garçons, Jean-Guy, lui a fait une grande promesse: il s'est engagé à prendre soin de son petit frère après son départ.

«Il a dit à sa mère de ne pas s'inquiéter, qu'il s'était toujours occupé de son frère et qu'il continuerait de le faire», a raconté hier sa belle-soeur, Gisèle Roy.

Jean-Guy Roy a tenu sa promesse jusqu'à la toute fin. Dimanche, l'homme de 59 ans a été trouvé mort dans sa résidence de Saint-Jude, en Montérégie. Le corps de son frère Richard, âgé de 46 ans, a également été découvert.

L'autopsie a révélé que Jean-Guy Roy était mort en premier de causes naturelles. Richard est mort quelques jours plus tard, probablement de faim ou de soif.

Rencontrées hier après-midi dans leur domicile de Saint-Hyacinthe, Gisèle Roy et sa fille Jacinthe, 27 ans, ont accepté de parler du drame qui vient de les secouer. «C'est dur, vraiment dur», a soupiré Jacinthe, qui était la filleule de Jean-Guy Roy.

C'est le père de Jacinthe Roy, Raymond (le frère des victimes), qui a découvert les corps dimanche soir. La famille était inquiète, puisque Jean-Guy ne répondait ni à la porte ni au téléphone.

Puisque la porte avant était verrouillée, Raymond Roy est entré par la fenêtre. Il a trouvé son frère Jean-Guy étendu sur son lit. Richard était couché sur le plancher du salon, inerte.

Lundi, la Sûreté du Québec a évoqué la possibilité que Richard Roy soit mort après avoir été incapable de subvenir à ses besoins. «Nous, on pense qu'il s'est laissé mourir», a dit Gisèle Roy, soulignant qu'il était capable de prendre de l'eau par lui-même. «Jean-Guy et Richard étaient inséparables, a ajouté Jacinthe. Un n'aurait pas pu partir sans l'autre. Ça aurait été trop cruel.»

Problèmes de santé

Issu d'une famille nombreuse, Jean-Guy Roy a toujours vécu chez sa mère, Laurencia Dulac. Il ne travaillait pas et ne savait ni lire ni écrire. Selon ses proches, il avait toutefois un grand coeur et voulait toujours rendre service.

Lorsque sa mère est morte d'une crise cardiaque, au mois d'août 1995, Jean-Guy a hérité de sa maison et de sa voiture. Depuis, il vivait seul avec son frère trisomique dans leur résidence de la rue Saint-Roch.

Selon la famille Roy, la cohabitation s'est bien déroulée jusqu'à tout récemment. Depuis quelques mois, Gisèle Roy a constaté que Jean-Guy semblait découragé et fatigué.

«Je lui avais proposé de garder Richard quelques jours par semaine, mais il ne voulait pas», a-t-elle raconté. Elle lui a également conseillé d'appeler le CLSC pour demander du soutien à domicile, mais Jean-Guy a refusé net. «On aurait aimé ça, mais il ne voulait absolument rien savoir, a-t-elle confié. Selon moi, il était trop gêné pour demander de l'aide.»

La santé de Jean-Guy suscitait l'inquiétude de ses proches. Depuis deux mois, il se plaignait d'engourdissements dans les jambes, laissant planer des problèmes cardiaques. «Le 17 août, il est allé voir le médecin pour passer des examens, mais il est revenu avec une prescription de médicaments pour une bronchite.»

Six jours avant la découverte des corps, Gisèle Roy affirme avoir téléphoné à Jean-Guy pour prendre de ses nouvelles. «Il n'avait pas l'air de filer», a dit Gisèle, qui regrette de ne pas l'avoir rappelé au cours de la semaine.

«Richard se serait laissé mourir de toute façon», lui a dit Jacinthe, sereinement.

La coroner Sylvie Dragon a ouvert une enquête pour déterminer les causes exactes des décès. Si elle le souhaite, elle pourra émettre des recommandations pour éviter qu'un tel drame se reproduise.

* * *

Des funérailles émouvantes

Les frères Roy auront droit à un adieu émouvant. Avec l'accord de la famille, la Société québécoise de la Trisomie-21 invite les personnes trisomiques et leurs proches à assister aux funérailles des deux hommes, qui doivent avoir lieu à 10h samedi à la paroisse Notre-Dame-du-Rosaire, à Saint-Hyacinthe (2200 rue Girouard ouest). La famille des victimes accueillera les visiteurs à 9h30.

«Nous voulons démontrer que nous sommes tous en deuil, a dit le président du groupe, Sylvain Fortin. Jean-Guy et Richard vont partir dans la dignité.» Aux côtés de son fils Mathieu, atteint de trisomie, Sylvain Fortin prononcera un hommage funèbre à la mémoire des victimes. En guise de solidarité, la Société québécoise de la Trisomie-21 s'est engagée à assumer les frais des services funéraires. Par ailleurs, Sylvain Fortin a déploré hier le manque de ressources offertes aux personnes trisomiques, particulièrement pour les enfants vieillissants. À l'instar de Jean-Guy Roy, plusieurs parents hésitent à demander de l'aide, selon M. Fortin. Certains ont peur de la qualité des soins, d'autres craignent qu'on leur retire la garde de l'enfant.