La liberté de religion permet-elle de troubler la quiétude d'un lac laurentien? Permet-elle de diffuser du matin au soir une musique qui exaspère les voisins?

Voilà la question à laquelle a dû répondre la cour municipale de Sainte-Agathe-des-Monts dans une cause opposant la municipalité de La Minerve au camp Gan Israël.

Dans son jugement rendu le 30 août, le juge Jacques Laverdure a ainsi conclu que l'utilisation abusive de haut-parleurs «ne peut pas être justifiée par la liberté de religion». C'est pourtant l'un des arguments qu'a plaidés le camp de vacances dans cette cause.

Le camp Gan Israël, situé en bordure du lac Désert à environ deux heures de route de Montréal, dans les Laurentides, accueille chaque année de 400 à 450 jeunes juifs issus de communautés orthodoxes d'Amérique du Nord. Depuis des années, les riverains se plaignent des bruits incessants qui proviennent du camp.

Selon des témoins cités dans le jugement, des haut-parleurs diffusent de la musique et des chants hébreux du matin au soir en été, de manière intermittente. L'un des riverains a même expliqué à la Cour comment il entendait la musique sur sa propriété, située à 1,3 km du camp.

«La musique, les porte-voix, ça peut durer jusqu'à 1h du matin», explique la directrice de l'urbanisme à La Minerve, Marie-Lise Langevin. Selon elle, les moniteurs du camp ont aussi la mauvaise habitude de se servir de porte-voix à outrance.

Les résidants se plaignent du bruit depuis des années, dit-elle. «On parle d'une trentaine, d'une quarantaine de plaintes, on parle de pétitions complètes, note-t-elle. Ça devient assez incessant pour les inspecteurs (de la municipalité).»

La Minerve a donc décidé de sévir et de donner au cours de l'été 2009 une vingtaine de constats d'infraction pour bruit excessif au camp. Devant le juge, un employé du camp, Berel Paltiel, a tenté d'expliquer comment «la musique est essentielle et nécessaire dans la culture juive».

«La musique est nécessaire parce qu'elle incite à la joie, donne de l'énergie et stimule les enfants», a-t-il fait valoir devant la Cour.

L'importance de la musique dans certaines branches du judaïsme a aussi été soulignée par le directeur du camp, Israël Mockin. «Le témoin explique que la musique fait partie de la religion juive. Elle donne de l'enthousiasme, elle aide à développer la personnalité et aide à servir Dieu», peut-on lire dans le jugement.

M. Mockin déclare aussi que «pour servir Dieu, vous devez être content».

Après trois jours de délibérations et des semaines d'attente - «une grosse cause pour une cour municipale», note Mme Langevin -, le juge Jacques Laverdure a donné raison à la municipalité. Le camp Gan Israël devra payer environ 16 000$ en amendes à La Minerve.

Le directeur du camp, Israël Mockin, n'a pas voulu faire de commentaires, hier. L'avocat du camp, Me Étienne Bergevin-Byette, a indiqué que la décision du juge Laverdure serait peut-être portée en appel, mais n'a pas voulu en dire davantage.

Selon Yakov Rabkin, professeur d'histoire politique à l'Université de Montréal, il est vrai que la musique est importante dans la tradition hassidique Loubavitch, dont se réclame le camp Gan Israël.

«La musique, plus précisément le chant, fait en effet partie de la tradition hassidique Loubavitch, explique l'auteur du livre Au nom de la Torah: une histoire de l'opposition juive au sionisme. Le jour de sabbat, même si toute musique instrumentale ou l'usage des haut-parleurs sont interdits, les juifs hassidiques s'adonnent aux chants traditionnels avec beaucoup d'enthousiasme.»

Mis au fait de ce jugement, M. Rabkin a toutefois tenu à indiquer que «la tradition juive met l'accent sur l'importance impérieuse de créer une bonne impression des juifs, et donc du judaïsme, sur la société ambiante».