Le 1er mai 1973, Tony Mucci, âgé de 18 ans, avait tiré sur le journaliste Jean-Pierre Charbonneau, qui enquêtait sur la mafia italienne de Montréal. Le goût des armes ne l'a pas quitté avec le temps. Avant-hier, le 26 août 2010, le même Mucci, âgé de 56 ans, a été arrêté dans une camionnette blindée à Montréal, alors qu'il avait en sa possession un fusil au canon tronçonné, un pistolet à décharge électrique... et un répulsif à ours.

Visage amaigri, polo rayé à manches courtes, menottes aux poings, il a comparu au palais de justice de Montréal avec ses soi-disant gardes du corps, Jesse Petrocco, 21 ans, de Montréal-Nord, et Carmine Serino, 41 ans, de Rivière-des-Prairies. Tous les deux ont été arrêtés à Boucherville. Ils avaient avec eux une arme de poing non autorisée, de calibre 9mm.

Le juge Jean-Paul Braun, de la Cour du Québec, a décidé de les garder en détention. Ils reviendront au tribunal mardi pour leur enquête sur cautionnement. Une quatrième personne est accusée: Tania Melissa Di Luigi, 29 ans. Elle habite avec Serino. Ils sont tous les deux accusés d'avoir eu en leur possession un Colt de calibre 45.

Mucci, qui habite Boucherville, est un membre influent de la mafia italienne depuis plus de 30 ans. Le fait qu'il se promène à Montréal dans un véhicule blindé, et équipé d'un fusil tronqué, souligne l'état de tension qui existe dans le milieu depuis l'arrestation du chef du clan sicilien, Vito Rizzuto, en 2004, et des membres dirigeants de son organisation, en 2006.

Au cours des six dernières années, une quarantaine d'individus liés à la mafia montréalaise ont été assassinés - notamment le fils de Vito, Nicolo Rizzuto, et un de ses acolytes, Agostino Cuntrera - ou kidnappés. Le 21 décembre 2008, Mucci a échappé à un attentat. Des inconnus ont tiré des coups de feu dans sa direction, alors qu'il se trouvait au Café Maida, boulevard Lacordaire, à Saint-Léonard.

Il est très proche de Moreno Gallo, un caïd d'origine calabraise comme lui, qui conteste un ordre d'expulsion en Italie. Ils fréquentent assidûment le Solid Gold, un bar du boulevard Saint-Laurent, depuis des années. Mucci, Gallo et Cuntrera ont déjà été considérés comme des candidats de choix pour combler l'absence de Vito Rizzuto et des autres dirigeants en prison.

Mucci a fait ses premières armes avec Paolo Violi, principal lieutenant du chef Vic Cotroni au début des années 1970. Le 1er mai 1973, il a atteint Jean-Pierre Charbonneau d'une balle dans la salle de rédaction du Devoir, mais sans le blesser gravement. Il a été arrêté et condamné à huit ans de prison. Alors qu'il était en détention, il a été convoqué par la Commission d'enquête sur le crime organisé. Il a refusé de dire pourquoi il avait tiré sur M. Charbonneau.

«Ça se rapportait au moins aux écrits de M. Charbonneau, a dit un commissaire. Êtes-vous d'accord avec ça?

- Non, a répondu Mucci.

- Écoutez, vous n'avez pas choisi un laveur de vitres, a insisté le commissaire.

- Cette journée-là, j'ai choisi un journaliste», a dit Mucci.

Une fois libéré de prison, le clan sicilien, avec à sa tête le père de Vito, Nicolo Rizzuto, avait éliminé Violi et pris le pouvoir. Mucci s'est joint aux nouveaux maîtres. En 2000, il a participé aux négociations du clan Rizzuto avec les Hells Angels pour fixer le prix de la cocaïne à Montréal. La rencontre s'est tenue au Tops Resto-Bar, à Laval.

Quelque temps après, il épousait la fille du truand Pierre Provençal. La soeur de Vito, Maria Renda (épouse de Paolo Renda, kidnappé le printemps dernier), Nick Cotroni, Dino Tavarone et d'autres membres connus du milieu interlope faisaient partie des quelque 500 invités. Le champagne coulait à flots. Mucci a offert à son épouse, de 24 ans plus jeune que lui, un collier en or de trois carats. Les invités ont donné de généreuses enveloppes au nouveau couple, contenant en tout 142 000$.

Le visage de Mucci apparaît sur une des vidéos tournées par les caméras que la GRC avait cachées dans le café Consenza, qui servait de quartier général à la mafia. On le voit en compagnie de Moreno Gallo et de Nicolo Rizzuto: Gallo remet une liasse de billets de banque au père de Vito, qui la glisse dans sa chaussette, sous le regard amusé de Mucci. Ce dernier a échappé de peu à la rafle qui a suivi cette enquête, qui portait le nom de code d'Opération Colisée.