Simon Kretz est chef de pupitre à La Presse. Sportif chevronné, il a participé à plusieurs triathlons Ironman, dont celui de Lake Placid.

Vous allez rouler? Ça ne vous donne pas la frousse, ce qui vient de se passer à Rougemont?

Mon voisin avait l'air perplexe. Je n'allais pas loin. Juste me délier les jambes pour digérer la mauvaise nouvelle. Le monde est petit. Et le monde du triathlon, plus encore.

En vélo, j'ai toujours peur, que je lui ai répondu.

Il a souri.

Mais c'est vrai.

Je roule trois fois par semaine. Deux ou trois heures. Seul ou avec mes amis. Toujours le même rituel. On gonfle les pneus. On remplit les bidons. Une barre tendre dans la petite sacoche d'outils.

Quelques dollars.

Et une carte d'identité dans la poche du cuissard.

Juste au cas.

Parce que quand je roule, j'ai peur. Peur de la chute fatale. De l'accident bête. Du gars saoul au volant. Peur de moi-même aussi, de ma témérité et de mes petites distractions.

Peur de l'automobiliste distrait.

Et puis il y a la loi de la moyenne. Plus on roule, plus on court de risques, pour ainsi dire. Combien de kilomètres allaient rouler cet été ces cyclistes fauchés hier? Quatre, cinq mille kilomètres, c'est sûr. Davantage, peut-être. Deux d'entre elles, dont l'une des athlètes qui a perdu la vie, avaient participé à un camp à Cuba en février. Elles roulaient fort. Elles roulaient comme le font tant d'autres, partout dans la province.

Ça fait peur.

Remarquez, cette crainte, on ne la ressent pas durant toute la sortie. Des fois, c'est juste une petite frousse. Quelques sueurs froides. La portière d'une voiture stationnée qui s'ouvre. Un nid-de-poule. Quelques secondes, le temps d'un virage, d'une côte descendue à trop haute vitesse. Sans compter le plaisir de rouler.

Mais parfois, la mort nous frôle comme le rétroviseur d'un VUS qui effleure notre maillot. Dans ces cas-là, de retour à la maison, on remercie le destin.

Parce que la mort ne rate pas toujours son coup.