Une version «cousue de fil blanc», truffée d'«incohérences» et d'«invraisemblances». Le juge Jean Falardeau n'a pas cru la mère de huit enfants lorsqu'elle a nié catégoriquement, durant son procès, leur avoir infligé des sévices. Le magistrat l'a déclarée coupable de la majorité des 14 chefs d'accusation qui pesaient sur elle, hier, au palais de justice de Montréal.

Le juge Falardeau, de la Cour du Québec, a relevé tellement de contradictions dans son témoignage qu'il a précisé ne pas en avoir fait une liste exhaustive dans son jugement. La femme de 44 ans a été reconnue coupable d'avoir infligé des voies de fait armées, dont certaines causant des lésions, à cinq de ses huit enfants. Elle a aussi proféré des menaces de mort à l'une de ses filles.

 

Consommation et violence

Cette mère consommait régulièrement de la marijuana et de la bière. Elle battait ses plus jeunes enfants à coups de règle, de «guenille mouillée» et de ceinture. Les plus vieux, eux, ont reçu des coups de bâtons de hockey. L'aînée a reçu un coup de poing au visage en guise de cadeau pour ses 18 ans.

Certains enfants ont enduré ce calvaire pendant une dizaine d'années. Ils sont aujourd'hui âgés de 5 à 24 ans. Une ordonnance de non-publication interdit aux médias de les nommer. La famille vivait dans un HLM insalubre de l'arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve.

En liberté durant son procès, l'accusée est demeurée stoïque au moment du verdict. Celle qui a perdu la garde de ses enfants a quitté le tribunal au bras de son fils aîné, aujourd'hui âgé de 24 ans. Ce dernier a témoigné en sa faveur plus tôt au procès. Il a dépeint une «relation idyllique» entre sa mère et ses frères et soeurs, selon le juge. Or, son témoignage ressemblait à une «version apprise par coeur», a ajouté le magistrat.

Le juge Falardeau a plutôt retenu la version des deux filles de l'accusée, aujourd'hui âgées de 17 et de 21 ans. Elles auraient pu noircir le portrait de leur mère, a-t-il souligné. Au contraire, la plus vieille a même admis avoir déjà frappé ses frères avec des bâtons de hockey comme le faisait sa mère. Même chose pour l'adolescente de 17 ans, qui a raconté ce dont elle avait été témoin avec clarté, sans plus. «L'ensemble de son témoignage ne démontre aucune animosité ni aucun désir de vengeance», a insisté le magistrat.

Crédibilité entachée

Durant son procès, l'accusée n'a jamais été en mesure de répondre directement à une question. Sans que personne ne le lui demande, elle a insisté à plusieurs reprises sur le fait que la sécurité de ses enfants était sa priorité. De plus, elle a blâmé ses filles pour ses problèmes, a énuméré le magistrat. Son attitude générale a sérieusement entaché sa crédibilité, a-t-il ajouté.

C'est l'adolescente aujourd'hui âgée de 17 ans qui a brisé le silence il y a trois ans. Au cours d'une sortie familiale au parc Bellerive, au bord du fleuve Saint-Laurent, en 2007, l'accusée soupçonnait sa fille de lui avoir volé un sac de pot, selon la version retenue par le juge. C'est que l'accusée a changé sa version en cours de témoignage, parlant d'abord de la perte de ses clés, puis de pot et finalement d'un sac de bourgeons d'arbre. «Des bourgeons, c'est assez fort», a lancé le juge Falardeau, qui cachait mal son exaspération.

L'accusée a violemment empoigné les cheveux de sa fille, la forçant à s'agenouiller pour ensuite lui plonger la tête sous l'eau. La victime a cru que sa dernière heure était arrivée. Elle a trouvé refuge ce soir-là chez sa grand-mère. Cette dernière l'a convaincue de porter plainte.

Le verdict rendu hier pourrait convaincre d'autres jeunes de porter plainte contre un parent agresseur, souhaite la procureure de la Couronne, Me Anne Gauvin. «On ne peut pas se réjouir d'une telle condamnation. Ce sont des drames familiaux. Des drames sociaux. Des vies d'enfant brisées même si leur mère a été condamnée», a insisté la représentante de la poursuite à sa sortie de la salle d'audience. Les plaidoiries sur la peine auront lieu le 10 juin. La Couronne entend réclamer une peine d'emprisonnement. Quant à la défense, que représente Me Mary Raposo, elle a refusé de commenter le verdict.